Chapitre 34 - La Dame des Bois

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_ Tu es sûr qu'elle va venir ? demanda Sarah en rabattant sa capuche sur sa tête pour combattre la fraîcheur du soir s'installait.

_ Certain, répondit Simon. Il faut juste être patient, elle ne se montrera pas tant que la nuit ne sera pas tombée.

_ Ça fait tout de même deux heures qu'on se gèle les miches sans rien voir venir ! bougonna Ambre. En plus, je commence à avoir les crocs.

Elle se mit à se gratter furieusement le cou, là où sa blessure s'était tout fraîchement refermée. Simon retint un soupir d'agacement. L'ogresse était d'une humeur massacrante depuis qu'elle avait été forcée d'abandonner sa voiture en piteux état. L'attachement qu'elle montrait pour ce tas de rouille dépassait l'entendement. Elle n'avait pas desserré les lèvres de tout le trajet, sauf pour manger. Ils avaient littéralement dévalisé une supérette pour elle, bourrant le coffre de la petite Toyota de location de nourriture au point qu'ils avaient eu du mal à le fermer. Et elle avait déjà presque tout avalé.

Elle avait raison, cependant, il faisait froid au milieu de ces bois, et humide. Il resserra les pans de son manteau autour de lui en frissonnant. Mais il savait ce qu'il faisait. C'était l'endroit parfait. Ils avaient dû quitter la route et marcher une demi-heure en pleine forêt avant d'atteindre la clairière, sous les arbres que l'automne teignait de jaune, d'écarlate et de vermillon. Le chemin qui y menait semblait être très fréquenté. Un petit oratoire dédié à saint Edern avait été bâti au milieu de la clairière. Une statue en plâtre du saint ermite veillait derrière la grille rouillée de la minuscule chapelle.

Mais ce n'était pas pour lui qu'ils étaient là, ni que tant de gens venaient si loin dans les bois. C'était pour le chêne immense qui se dressait à ses côtés et dont la ramure majestueuse couvrait l'oratoire de son ombre. Depuis ses racines jusqu'à une hauteur de trois mètres environ, le tronc rugueux de l'arbre était emmailloté de bouts d'étoffe sales, de rubans aux couleurs défraîchies et de vêtements en loques. Dans la pénombre du soir, Simon devinait plus qu'il ne les voyait les milliers de clous qui le constellaient. Chaussures, fleurs en plastique, chapelets de prière et crucifix, mouchoirs en tissu, bonnets d'enfant, lettres, photos, et même des lunettes et des poupées, tout un fouillis d'objets hétéroclite était cloué à l'énorme fût comme autant d'ex-voto, laissés là pour obtenir une protection ou la guérison d'une maladie. Certains n'avaient pas dû être déposés là plus de quelques semaines auparavant.

L'arbre était très vieux, plus vieux peut-être même que la chapelle blottie sous ses frondaisons, mais l'antique rite qui se déroulait dans cette clairière était plus ancien encore. Bien d'autres arbres sacrés avaient dû se succéder au cours des siècles, un jeune baliveau remplaçant l'ancêtre abattu par l'âge ou les éléments. Toujours au même endroit. Aujourd'hui encore, les gens ressentaient la puissance ce lieu et la nourrissait en retour de leur foi.

Il y avait du pouvoir ici, profond comme ces racines qui s'enfonçaient dans le sol, âpre comme la sève qui les irriguait. Le pouvoir qui lui manquait.

_ On a vraiment besoin de faire tout ça ? reprit Ambre. Tu es déjà allé là-bas, non ? Tu ne te souviens pas du chemin ?

_ Je te l'ai déjà dit, que je m'en souvienne ou pas n'y change rien. Personne ne trouve la Cour de Maëlkaruos sans y être invité, que ce soit la première fois ou la centième. Il n'y a qu'un seul autre moyen de s'y rendre : que l'un des Sans Âge accepte de nous guider.

Le soleil acheva enfin de basculer derrière l'horizon et la ligne d'or du crépuscule fit place au velours bleu de la nuit. Le moment était venu. En chemin, Simon avait acheté une lanterne de papier vert dans la boutique d'accessoires de fête d'une quelconque zone commerciale croisée sur la route. Il la plaça à quelques pas devant lui, à côté d'une coupe en bois dans laquelle étaient disposés un bouquet de fleurs sauvages, un rayon de miel et une poignée de plantes aromatiques séchées. C'était une bien pauvre offrande pour la messagère des dieux, songea-t-il.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant