Chapitre 51 - L'heure la plus sombre

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Sarah s'éveilla en sursaut ; on la secouait par l'épaule. Elle ouvrit les yeux pour découvrir Ambre penchée au-dessus d'elle, une expression inquiète sur le visage.

_ Quelque chose cloche ! Regarde le feu ! lui dit-elle en l'aidant à se lever. Je crois que les Chasseurs sont de retour... il faut qu'on dégage ! Vite !

La jeune femme, brutalement arrachée au sommeil, mit quelques secondes à comprendre ce qui se passait. Un silence de mort était tombé sur le jardin d'hiver, comme si toute la faune qu'il abritait avait soudain disparue. Puis elle vit le feu de camp : ses flammes semblaient brûler deux fois plus vite. Ambre avait déjà passé son sac-à-dos  et la pressa de la suivre vers la sortie.

Mais elles ne firent que quelques pas dans cette direction : la porte par laquelle elles étaient entrées plus tôt s'ouvrit à la volée et une bourrasque de vent froid, chargée d'une odeur de forêt et de pluie, s'engouffra sous la coupole de verre, accompagnée d'un concert de cors de chasse, de bruits de sabots, de hennissements et d'aboiements. Ambre jura entre ses dents. Trop tard ! La voie était coupée. Il allait leur falloir trouver une autre sortie du Pavillon. Elle attrapa Sarah par le coude et l'entraîna vers l'une des anciennes allées pavées dont on devinait encore le tracé à travers l'épaisse végétation.

Un gémissement plaintif retentit derrière elles, suivi d'un chœur de jappements excités. On avait flairé leur présence. Elles entendirent les Chasseurs pénétrer à l'intérieur de la serre, leurs bottes claquant sur le carrelage. Ils se mirent à encourager la meute avec des cris rauques. Des torches furent allumées. Leur lueur mouvante se reflétait sur l'eau de bassin, aussi lisse que du verre noir.

Ambre et Sarah couraient, haletantes, à travers les buissons de lantaniers et de bambous. Mais les ronces s'agrippaient à leurs vêtements et les branches basses qui avaient poussé en travers du chemin ralentissaient leur progression.

Sarah faillit se briser la cheville en trébuchant sur les restes d'une statue abattue, qui disparaissaient sous la mousse et le lierre. Elle allait se relever quand quelque chose agita violemment les feuilles sur sa gauche. Ambre bondit, agrippant au vol la créature qui venait de surgir des taillis en grognant, et elles roulèrent à terre, en une masse indistincte de membres emmêlés. Le combat fut bref mais extrêmement brutal. Il fallut à Ambre un effort gigantesque  pour réussir à emprisonner la nuque de son adversaire entre ses mains et à la briser d'un coup sec.

La créature cessa de bouger et Sarah pût mieux la voir. Elle avait le museau et les oreilles d'un chien, la silhouette souple et longiligne d'un lévrier, mais la ressemblance avec un canidé s'arrêtait là. Pour commencer, elle était bien trop grande. Les griffes rétractiles qui terminaient ses longues pattes et les crocs qui sortaient de son court museau rappelaient ceux d'un félin. Des poils drus et épais, presque des épines, couvraient son cou et ses épaules, et s'étiraient en crête le long de son échine osseuse. Sarah se précipita vers Ambre pour l'aider. L'ogresse était couverte de morsures qui paraissaient très profondes et les griffes de la bête lui avaient lacéré tout le côté du droit du cou.

_ Je vais tenir le coup, t'en fais pas, la rassura celle-ci. Il faut continuer à avancer.

Ses blessures avaient pourtant l'air grave, trouva Sarah. Et sa gorge était presque ouverte. Sans attendre, l'ogresse sortit de sa botte une longue dague de chasse - une excellente et solide lame dont elle avait fait l'acquisition à la Foire - et éventra la créature, dont les viscères bleutées se répandirent sur les feuilles mortes.

_ L'odeur va les rendre fous, et couvrir la notre, expliqua-t-elle essuyant son couteau sur la fourrure de sa victime. Ça devrait leur donner un peu plus de mal pour nous retrouver.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant