Chapitre 42 - Retour au Pavillon

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Sarah ne rêvait plus, la nuit.

Au cours des trois jours qui avaient suivi leur départ du palais sous la colline, la première chose que Simon avait faite avait été de lui enseigner comment éviter de se laisser dériver dans le Nulle-Part pendant son sommeil, et les cauchemars avaient disparus. Les rêves aussi. Elle n'était pas sûre de savoir si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

Ils étaient de retour au Pavillon de Chasse. Malgré les protestations d'Ambre, Simon s'était montré inflexible : c'était l'endroit le plus sûr où ils puissent se cacher. Il leur avait expliqué qu'avoir une clé du Pavillon ne suffisait pas pour y entrer. On ne pouvait le trouver que si on y était déjà venu, ce qui en faisait pour eux un sanctuaire quasiment inviolable. Et la suite devait lui donner raison, car depuis qu'ils s'y trouvaient, il n'y avait pas eu la moindre alerte. Il semblait que les Chasseurs ne rentreraient pas au bercail de sitôt.

Quitter le domaine de Maëlkaruos s'était avéré beaucoup moins difficile qu'ils ne l'escomptaient. La trahison de Saule avait laissé le prince trop abattu pour qu'il cherchât à les retenir, mais ils étaient partis les mains vides. Retour à la case départ. Leur visite chez le Prince Cerf avait été un échec sur toute la ligne. Ils avaient défié et vaincu un roi des fées – rien de moins qu'un ancien dieu ! - dans sa propre demeure. Tout ça pour rien.

Une autre mauvaise surprise les attendait à la sortie du tumulus. Ils avaient découvert que bien qu'ils n'aient passé qu'une nuit à la cour de Maëlkaruos, une semaine entière s'était écoulée dans le monde du dessus. Ce qui signifiait que Saule n'avait pas seulement quelques heures d'avance sur eux mais plusieurs jours.

Sarah avait passé ces trois jours à visiter le Pavillon. La première journée, elle n'avait pas osé s'éloigner vraiment de la partie qu'elle connaissait déjà. Mais l'inaction n'avait pas tardé à lui peser – et elle avait eu besoin d'un dérivatif à ses idées noires.

Comment en était-elle arrivée là ? se disait-elle. Comment sa vie avait-elle pu dérailler ainsi ? Elle avait perdu tout contrôle sur sa propre existence. Il y avait cette chose qui grandissait en elle et la dévorait petit à petit. À chaque jour qui passait, elle sentait son emprise s'étendre. Elle était en train de changer, elle le savait, lentement mais sûrement. La dernière fois qu'elle s'était regardée dans un miroir, les meurtrissures violacées couvraient déjà jusqu'à sa poitrine et à ses cuisses. Elle avait terriblement maigri aussi, elle n'avait jamais vu ses côtes saillir de cette façon sous sa peau. Elle s'affaiblissait. Exactement comme sa mère.

Son seul espoir de guérison était qu'ils réussissent à retrouver Saule et à récupérer la boîte de Pandore ; un espoir qui s'amenuisait de jour en jour.

Alors pour éviter d'y penser, elle s'était lancée dans l'exploration de leur refuge. Il était bien plus grand qu'elle ne l'avait imaginé, car après ces trois jours, elle était loin d'en avoir encore fait le tour. La vieille demeure semblait figée dans le temps et tout s'y déroulait au ralenti, les chandelles elles-mêmes brûlaient avec une lenteur étrange. Dans les salles qu'elle avait traversées, les fenêtres obstruées de branches et de lianes ne laissaient passer que peu de lumière, mais le faible jour gris qui réussissait à les franchir ne diminuait ni ne croissait jamais. La seule chose qui lui permettait de mesure le temps qui s'écoulait étaient les allées et venues de Simon, lorsqu'il faisait parfois une halte dans sa quête effrénée de Saule et de la boîte. Des recherches qui n'avaient mené à rien jusqu'à présent. Il avait refusé qu'elle l'accompagnât - trop dangereux selon lui - et avait laissé Ambre avec elle pour monter la garde.

Le premier jour, Sarah avait trouvé une bibliothèque. Une pièce encore splendide malgré son délabrement, toute de boiseries sombres, de velours cramoisi et de bronze vert-de-grisé. Les livres reliés de cuir fauve qui s'alignaient sur les rayonnages sculptés de feuilles et de rinceaux étaient imprimés dans toutes les langues : anglais, français, italien, allemand... et même russe. Elle en avait ouvert quelques-uns pour les feuilleter. Mais à part des traités de chasse, il n'y avait là que des ouvrages qui l'avaient fait rougir jusqu'aux oreilles ou au contraire lui avaient glacé le sang. Dans un coin, elle avait fini par dénicher une pile de vieux bouquins aux couvertures colorées  –  des romans des années soixante, sans doute amenés là par un visiteur comme elle.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant