Chapitre 52 - Une alliance improbable

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Sarah utilisa ce qu'il restait des derniers billets transformés par Simon pour se payer une nuit d'hôtel et un billet de train vers Paris. Une fois sortie de la gare Montparnasse, il lui fallut parcourir un bon moment les rues du Vème arrondissement avant tomber enfin sur celle où se trouvait la cour d'Auberon. Le ciel de la capitale était bas et plombé, et il tombait une petite bruine qui glaçait son visage et ses mains nues.

Les lettres lumineuses du café Mon Amour étaient éteintes et le rideau de fer tiré devant la porte. La vitrine du bistrot était bien plus sale que dans son souvenir. En s'approchant, Sarah vit le courrier et les prospectus qui débordait de la boîte aux lettres et le panneau défraîchi pendu de l'autre côté de la porte de verre. « Bail céder ». Elle colla son front contre la vitre encrassée et aperçut la salle où elle était venue deux semaines plus tôt. Elle était vide : les meubles avaient disparu, il ne restait plus que le bar, vidé de ses bouteilles, et une épaisse couche de poussière recouvrait les carreaux du sol. Personne n'avait l'air d'être entré ici depuis des mois.

Malgré tout, elle appuya plusieurs fois sur la sonnette. Elle entendit le carillon aigrelet retentir à l'intérieur. Mais personne ne vint lui ouvrir, et pas plus quand elle se mit à tambouriner contre la porte comme une forcenée. La mort dans l'âme, Sarah dut finalement se rendre à l'évidence : Auberon et sa cour s'en étaient allés.

Elle se traîna jusqu'à un banc proche et s'y effondra, la tête entre les mains. Auberon était son dernier espoir, le seul qui pouvait encore l'aider à atteindre Caligo. Elle ignorait où il était parti, et elle aurait été bien incapable de retrouver la cour du roi de Féérie par ses propres moyens. Tout était perdu. Elle ferma les yeux pour retenir les larmes de découragement qui menaçaient de la submerger. L'attaque des Chevaliers, les promesses de la Belle Dame, les mensonges de Simon, le terrible sacrifice d'Ambre : tout se mêlait dans son esprit et repassait en boucle derrière ses paupières closes.

La pluie fine avait eu le temps de la tremper jusqu'aux os lorsqu'elle se redressa enfin, et ouvrit le sac sur ses genoux, à la recherche d'une bouteille d'eau. Sa main tâtonnante se referma sur le le linge qui entourait la boîte de Pandore.

Elle fut prise d'une envie soudaine de fracasser la jarre contre le sol. Tant de sang versé, de trahisons et de sacrifices pour un simple pot de terre, songea-t-elle. Est-ce que tout cela en valait vraiment la peine ? Elle était seule maintenant, totalement seule. Qu'allait-elle pouvoir en faire à présent de cette boîte si chèrement acquise ? Jamais elle ne réussirait à atteindre Caligo, pas sans Simon. Pas sans Ambre. Elle ne savait même pas par quel chemin s'y rendre...

~*~

Les deux jours qui avaient suivi le raid contre l'usine abandonnée étaient passés comme un éclair pour Thomas. Il y avait eu fort à faire : les interrogatoires des captifs mis au secret au Prieuré de Poigny avaient donné de nombreuses pistes, qu'il fallait explorer avant qu'elles ne refroidissent. On l'avait envoyé enquêter sur la présence d'un nid de goules aux abords du cimetière de Montparnasse. Il y était allé seul, bien que cela ne fut pas la coutume des frères. Guillaume ne l'avait pas accompagné, prétextant qu'on l'avait chargé d'une autre mission. Il ne lui avait fait aucun autre reproche à propos de Sarah – il n'avait pas même évoqué le sujet depuis leur retour à la commanderie – mais Thomas sentait qu'un fossé s'était creusé entre eux. Guillaume se montrait distant et il l'avait surpris plusieurs fois à l'observer d'une façon détournée, avec un regard chargé d'un mélange de chagrin et d'inquiétude. L'absence de son frère l'avait peiné, mais il n'avait pas voulu le remplacer par un autre. Cela s'était d'ailleurs révélé inutile : s'il avait bien retrouvé les traces de plusieurs goules dans les souterrains qui courraient sous le cimetière, dont des marques de dents toutes fraîches sur les ossements entassés dans l'une des fosses de l'ossuaire, les goules elles-mêmes avaient déjà levé le camp, peut-être prévenues par l'une de celles qui s'étaient échappées de la Foire. Il avait passé une bonne partie de la journée à ramper dans ces catacombes de fortune avant de se décider enfin à rentrer, les mains vides.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant