Une lune d'argent voguait dans le ciel sans nuage, baignant de sa froide clarté la crête déchirée de la tranchée et les flancs boueux du ravin qui s'étendait à ses pieds, hérissés de piquets et de fils barbelés. Calé dans le renfoncement de son créneau, Simon avait une vue dégagée sur la plaine dévastée ; il pouvait même deviner çà et là les entonnoirs brûlés des trous d'obus qui la criblaient de leurs ombres mystérieuses.
Un claquement de balle vint troubler le silence, assez loin sur sa gauche, suivi de quelques autres... Puis plus rien ; sans doute un autre guetteur qui avait cru voir quelque chose bouger. Il fallait dire qu'au bout de quelques heures à fixer l'obscurité, il n'était pas rare que vos yeux commencent à vous jouer des tours, et que vous vous mettiez à voir des choses qui n'étaient pas là. Simon réprima un bâillement, et frotta ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer. Malgré son manteau et la couverture jetée sur ses épaules, le froid de la nuit se faisait pénétrant.
Derrière lui, il entendit quelqu'un gravir le boyau étayé de sacs de terre qui montait à son poste. La relève, déjà ? Puis une voix familière chuchota dans la nuit :
- Hé Magicien, tu dors ?
Simon attrapa à tâtons la main tendue du Petiot et le hissa vers lui. Le Petiot – qui faisait deux bonnes têtes de plus que Simon mais dont les joues roses s'ombraient à peine d'un léger duvet blond - s'installa tant bien que mal près de lui, recroquevillant sa grande carcasse contre le renfoncement qui abritait les grenades.
- Je n'arrive pas à fermer l'œil. J'ai pensé qu'on pourrait se tenir compagnie.
Une rumeur sur un prochain assaut des lignes allemandes s'était répandue parmi les hommes, et le gamin, qui venait tout juste de quitter sa campagne auvergnate pour monter au front, semblait redouter cette éventualité plus encore que les autres. Pas qu'il soit un froussard, mais ses deux frères aînés étaient tombés à Verdun, et il avait confié à Simon que sa mère ne supporterait pas de perdre un autre fils.
-Pourquoi pas, lui répondit-il, c'est calme à cette heure. Au moins, ça me tiendra éveillé.
Le Petiot lui tendit son bidon et Simon le remercia d'un hochement de tête avant de se servir une rasade. Le vin aigrelet lui râpa la langue mais répandit une agréable sensation de chaleur dans sa gorge.
Le garçon but à son tour et s'essuya le menton d'un revers de manche avant de se pencher vers lui :
-Dis, tu me montres encore un tour de magie ?
Simon sourit dans sa barbe ; le Petiot portait bien son surnom, parfois. Il assouplit ses doigts engourdis, écarta ses manches pour découvrir ses poignets puis pécha une pièce de monnaie dans la poche de son uniforme et la lui montra. C'était une pièce de deux francs que la lune faisait reluire comme de l'argent. Il la posa dans sa paume droite avant de la recouvrir de sa main gauche sous le regard attentif de son compagnon. Il souffla sur ses mains réunies. Lorsqu'il les ouvrit, la pièce avait disparu. Les yeux du gamin s'écarquillèrent.
_Où est-elle ?
_Ici, répondit Simon en faisant réapparaître la pièce derrière l'oreille du jeune soldat.
_ Tu es vraiment un magicien ! s'exclama le Petiot avec rire d'enfant. Comment est-ce que tu fais ça ?
Il y avait tant d'émerveillement dans son regard. Pourtant c'était un tour des plus communs, presque grossier de l'avis de Simon. Tu devrais voir ce que je peux faire quand je suis vraiment en forme, pensa-t-il.
_ C'est très simple. Je peux te montrer si tu veux.
_C'est vrai, tu vas m'apprendre ?
Simon ne répondit pas. Horrifié, il fixait le sang qui s'était mis à couler sur le visage du jeune homme, le transformant en un masque écarlate.
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Le Roi de l'Hiver
ParanormalC'est un soir d'octobre comme les autres pour Sarah, une jeune femme sans histoires qui est loin de se douter que sa vie va basculer dans l'étrange. En tentant de secourir un inconnu, elle se retrouve bien malgré elle dépositaire d'un fardeau qui s...