Chapitre 33 - Tu ne laisseras point vivre la magicienne

411 69 1
                                    

Thomas frappa à la porte du bureau du maréchal. Une voix bourrue lui répondit d'entrer. Il poussa le battant et fut soulagé de constater que Donatien se trouvait seul. La petite pièce où il pénétra était d'une simplicité toute monacale, à l'image de son occupant. Le seul élément un peu personnel qu'on y trouvait étaient quelques photos encadrées posées sur le large bureau de châtaignier, des clichés pris à la Maison des Oblats Sainte-Ursule. Thomas apparaissait sur la plupart d'entre eux. Donatien leva le regard des documents qu'il était en train de lire, et son visage s'éclaira lorsqu'il reconnut son jeune protégé.

_Je ne te dérange pas ? demanda Thomas depuis le seuil.

Donatien ôta ses lunettes et se pinça l'arête du nez avec un long soupir. Superviser les affaires militaires de la commanderie requérait qu'il passât de longues heures dans son bureau, mais il restait un homme d'action avant tout, et ce travail administratif lui pesait.

_Non, au contraire, j'aurais bien besoin de faire une pause. J'ai l'impression que notre bien-aimé frère Philippe a décidé de m'ensevelir sous la paperasse ! dit-il avant de désigner les piles de papiers qui encombraient le bureau devant lui. Il sait que je déteste ça pourtant, mais je le soupçonne d'y prendre un malin plaisir. Viens-donc t'asseoir.

Thomas prit place en face du maréchal, mais resta muet une fois assis. C'était souvent vers son parrain qu'il se tournait lorsqu'il avait besoin de conseils, plus volontiers que vers son confesseur ou même que vers Guillaume. Il admirait en lui autant le pragmatisme de l'homme d'expérience que la sagesse du Chevalier accompli. Pourtant cette fois-çi, les mots le fuyaient. Ses pensées s'entrechoquaient dans sa tête, s'éparpillaient comme un essaim d'insectes bourdonnant, et il ne savait comment aborder le sujet que le préoccupait. Donatien le tira de son embarras.

_ Pas besoin de me dire ce qui amène, Thomas, je peux le lire sur ton visage. Tu semblais si bouleversé après le chapitre de ce matin... J'ai eu l'impression que tu n'approuvais pas vraiment la décision de notre commandeur.

Les mots du père Athanase résonnaient encore aux oreilles du jeune moine. Cette jeune femme est perdue. Son mal est au-delà de notre aide. La Purgation avait échoué à éradiquer la souillure que Sarah portait en elle. Aux yeux de ses frères, elle était une abomination qui profanait par sa simple existence tout ce qu'ils tenaient pour sacré, tout ce qu'ils avaient juré de défendre. Elle était une insulte crachée à la face du Créateur. Et elle leur avait échappé.

Confronté à une telle situation, le commandeur n'avait pas eu d'autre choix que d'en informer le grand-maître de L'Ordre. Celui-ci n'avait pas tardé à réagir en leur dépêchant un Sage de la Cour Silencieuse, accompagné de ses scabins.

La Cour Silencieuse, une institution aussi crainte qu'admirée. Le tribunal secret de l'Ordre, celui qui jugeait les Chevaliers eux-mêmes, et des cas particulièrement graves ou complexes qu'ils pouvaient rencontrer. Le juge de la Cour avait déclaré Sarah « impure ». Thomas savait que ce simple mot valait sentence de mort. Car les « impurs » devaient être détruits. Par le feu, de préférence.

Pourtant dans l'esprit de Thomas, en dépit de la malédiction qui rongeait son âme, Sarah restait une créature de Dieu. Un être de chair et de sang comme lui, et non l'un de ces démons qu'il avait l'habitude de chasser ou l'un de ces sorciers qui avaient renoncé à leur humanité. Il avait vu sa souffrance. Il avait entendu la peur  faire trembler sa voix lorsqu'elle l'avait supplié de l'épargner, juste avant qu'il ne la maintienne sous l'eau. Cette peur et cette douleur auraient pu être les siennes. Le regard qu'elle lui avait lancé depuis sa cellule, lorsqu'ils s'étaient vus pour la dernière fois, était imprimé au un fer rouge dans sa mémoire. Ce n'était pas le genre d'émotions qu'il aurait voulu voir sur son visage.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant