Chapitre 27 - Les brumes du sommeil

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Les portes de bronze du royaume d'Auberon s'ouvrirent avec fracas et allèrent cogner contre les murs, vibrantes comme des cloches. Les musiciens s'interrompirent aussitôt, les danseurs surpris se figèrent, et toutes les têtes se tournèrent vers le seuil obscur. Quelque chose fusa depuis l'ombre, dévala la pelouse en laissant derrière elle une traînée de gouttelettes rubis, avant de s'immobiliser à quelques pas de la tente du roi. Sous les paupières noires qui les voilaient à demi, les yeux morts de la tête tranchée se fixèrent sur Auberon, sa gueule hérissée de crocs toujours ouverte sur son dernier cri.

Un lourd silence s'était abattu sur le jardin suspendu lorsque Veneur en franchit les portes, les vêtements éclaboussés du sang de sa victime, et entouré de sa meute grondante. La foule épouvantée recula devant les chiens qui s'avançaient, babines retroussées sur leurs crocs jaunâtres. Trois d'entre eux sautèrent sur les tables avec un grognement de défi, et ceux qui y étaient encore assis se levèrent avec un cri de frayeur, renversant leurs verres dans leur hâte.

Seul Auberon ne céda pas à la peur et marcha à la rencontre de Veneur, suivi de Gloriant. Une colère froide se lisait sur son beau visage mais le chasseur n'était pas dupe – il y avait un soupçon d'inquiétude dans ces prunelles bleues.

_ Comment oses-tu te présenter ainsi devant moi, chasseur ? Forcer ma porte, t'en prendre à mes gens ?  Tu paieras cet affront de ton sang !

_ Tes menaces manquent de conviction, roitelet. Il y a longtemps que je ne tremble plus devant toi...

Veneur ramassa une poignée de serviettes en papier sur une table et s'en servit pour essuyer ses mains et sa joue maculées de rouge avant de reprendre :

_ Tu t'es attiré le courroux de ma Dame, Auberon. As-tu vraiment cru que tes petites machinations passeraient inaperçues ? Je sais que Simon est venu ici. Avec la Clef.

Ses yeux s'attardèrent sur la main droite d'Aubéron, sur ses doigts aux extrémités noircies.

_ Fort bien, puisque tu le sais je ne vais pas le nier, répliqua fièrement le Roi des Fées. Ta reine a perdu la raison, tu dois être aveugle pour ne pas t'en être rendu compte. Sa folie nous mènera tous à notre perte, et je ne la laisserai pas faire !

_ Vraiment, Auberon ? Tu crois pouvoir t'opposer à ma reine ? Regarde-toi ! Terré ici comme un rat dans son trou. Regarde ce que ton royaume est devenu, il n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut autrefois. Où est ton honneur ? Où sont donc tes vastes forêts et tes vaillants chevaliers ? Je ne vois ici que des prédateurs de bas étage, de vils charognards. Les hommes ne se souviennent déjà plus de ton histoire, bientôt ils auront oublié jusqu'à ton nom. Si tu te joignais à ma Dame...

_ Épargne ta salive, chasseur ! J'ai fait mon choix il y a longtemps et il n'est pas dans ma nature de briser la parole donnée. Si je dois m'affaiblir et disparaître, qu'il en soit ainsi. Du moins n'aurais-je pas courbé la tête.

Veneur poussa un soupir las.

_ J'aurais préféré ne pas en arriver là mais tu ne me laisses guère le choix. Je vais devoir te convaincre autrement.

Il fit un signe à ses chiens, qui se regroupèrent devant lui.

_ Tu crois que tes roquets me font peur ? demanda crânement le petit roi. Jamais ils n'oseront m'attaquer.

_ Je n'ai pas reçu ordre de briser la trêve en m'en prenant à un prince de Féérie, dit Veneur d'une voix douce. Jamais je n'oserais toucher à un cheveu de ta tête. Mais la Clef appartient de plein droit à la Belle Dame et tu as conspiré pour la lui dérober. Ta trahison ne saurait rester impunie, petit roi. Ma Dame demande réparation et réclame le prix du sang pour laver cette offense.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant