Chapitre 3 - Collision

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_ Monsieur, est ce que ça va ?

Il releva la tête, surpris. Une jeune femme se tenait devant lui, qui l'observait d'un air circonspect. Petite et athlétique - un peu garçon manqué, trouva-t-il -, elle avait le teint mat et un petit visage triangulaire, auréolé de courtes boucles noires.

Elle n'aurait jamais du pouvoir le remarquer dans cette pénombre... Son voile devait être en train de se dissiper plus vite que prévu. Il regarda autour de lui. Il ne s'était pas éloigné de la fête foraine autant qu'il l'aurait cru : il se trouvait tout près d'un vieux carrousel qui était en train d'éteindre ses lumières. Hormis la jeune fille, l'endroit était pratiquement désert.

C'est à ce moment-là que la solution lui apparut. Simple, limpide. Il prit sa décision en une fraction de seconde.

_Je crois que j'ai fait une mauvaise chute, dit-il avec son sourire le plus inoffensif. Est-ce que vous pourriez m'aider à me relever ?

Il vit la jeune métisse hésiter. Il faisait nuit et il était un inconnu dans une allée mal éclairée... C'est alors qu'elle aperçut le sang sur sa manche et ses doigts.

_Vous êtes blessé ? s'inquiéta-t-elle. Peut-être que je ferais mieux d'appeler les secours...

Elle sortait déjà son téléphone portable de sa poche.

_Non ! laissa-il échapper, avec un peu trop de véhémence.

Il la vit tiquer.

_Non, ce n'est pas la peine, mademoiselle, reprit-il d'un ton plus calme. C'est beaucoup moins méchant que ça n'en a l'air. Si vous pouviez être assez gentille pour m'aider à rentrer chez moi, je vous en serais infiniment reconnaissant... J'habite tout près, ajouta-t-il en désignant l'entrée d'un immeuble en pierre de l'autre côté de la rue.

Un groupe de fêtards quittant la foire passa à quelques mètres d'eux à peine. La méfiance de la jeune femme sembla se relâcher. Elle avait un visage expressif, il pouvait presque y lire ses pensées. Il était tard, devait-elle se dire, mais les rues étaient encore pleines de monde et ce vieux bonhomme paraissait trop mal en point pour être un réel danger. Qu'est ce qui pourrait bien arriver si près de la fête foraine ? Il vit l'hésitation déserter son regard.

Elle se pencha vers lui, passant son bras sous le sien pour le hisser sur ses pieds. Il se releva en s'appuyant lourdement sur elle. Elle l'aida à traverser la chaussée et le conduisit jusqu'à la porte cochère qu'il lui avait désignée.

_Voilà, nous y sommes ! Merci beaucoup, dit-il tout en vérifiant que la rue était vide.

Alors, sans lui laisser le temps de s'écarter, il la plaqua contre lui, la bâillonnant de sa main droite, puis la tira dans le renfoncement de la porte, suffisamment profond pour les abriter des regards.

La fille resta d'abord une seconde sans réagir, comme sidérée par son attaque. Puis elle se mit à se débattre avec violence ; son coude le percuta au creux de l'estomac, à un endroit douloureusement proche de sa blessure. Le souffle coupé, il faillit la lâcher mais réussit à resserrer sa prise in-extremis. Elle  lui martelait les orteils de ses talons ; il sentit ses dents s'enfoncer avec férocité dans la paume de sa main. Faible comme il l'était, il n'allait pas la retenir bien longtemps. Dans un instant, elle allait se libérer et appeler à l'aide. Il rassembla toutes les bribes de pouvoir qu'il lui restait, gratta jusqu'à la plus minuscule étincelle précieusement conservée, et les insuffla dans les mots qu'il murmura à son oreille :

_Ne me résiste pas.

Elle cessa aussitôt de lutter, et son corps devint aussi inerte qu'une poupée de chiffons entre ses bras.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant