Chapitre 50 - Jardin d'hiver

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Après une longue course à travers bois, Ambre et Sarah finirent par tomber sur l'un des hameaux voisins de l'usine. Trois ou quatre maisons, pas plus, blotties autour d'un carrefour marqué d'une vielle croix de pierre. Tout était silencieux et aucune lumière ne brillait encore aux fenêtres quand elles se glissèrent dans une cour laissée à l'abandon, envahie d'une herbe haute et sèche qui crissait sous leurs pas.

_ Je suppose que ça devrait faire l'affaire, dit Ambre.

Sarah hocha vaguement la tête. Elle n'avait plus ouvert la bouche depuis qu'elles avaient quitté Simon de façon si précipitée. Une remise délabrée s'appuyait contre l'un des murs, fermée par une porte qui pendait un peu de guingois. La porte était entrouverte et Sarah la referma, non sans mal - personne n'avait dû la verrouiller depuis des lustres. On pouvait apercevoir quelques étagères poussiéreuses à travers ses planches disjointes. Elle introduisit la clé que lui avait confié Simon dans la serrure, même si elle lui parut beaucoup trop grande pour elle. Elle s'était attendue à ce que le mécanisme lui résiste mais la clé tourna aussi facilement que si l'on venait de le graisser. La porte s'ouvrit sans un bruit sur ses gonds rouillés et une odeur de plantes en décomposition vint lui chatouiller les narines.

Un instant, elle douta d'avoir trouvé le Pavillon de Chasse : le chambranle vermoulu n'encadrait pas un hall au dallage de marbre mais un rectangle de végétation dense et anarchique. Elle franchit tout de même le seuil, suivie d'Ambre. Après être entrée, elle remarqua les carreaux de faïence sous la couche de feuilles mortes, et les vestiges d'allées qui séparaient les rangées d'arbustes et de buissons au feuillage serré.

Ce qu'elle avait pris pour une sorte de jungle n'était en réalité qu'un vaste jardin d'hiver retourné à l'état sauvage. Les vitres de la serre étaient encrassées d'un dépôt blanchâtre et ne laissaient passer qu'un jour timide, mais qui était tout de même suffisant pour que Sarah s'aperçoive que la végétation n'était pas aussi luxuriante qu'elle l'avait d'abord cru. Hormis le lierre vigoureux qui avait envahi chaque recoin, la plupart des plantes montraient des feuilles jaunies ou balafrées de tâches noirâtres ; certains arbres semblaient même morts, leurs branches nues et leurs troncs torturés étaient couverts de champignons blafards.

Ambre fit quelques pas en avant et renifla l'air.

_Il n'y a personne, l'informa-t-elle. Les Chasseurs ne sont pas à la maison, on dirait. Tant mieux pour nous. On devrait explorer un peu, trouver un endroit pour passer la nuit.

Elles ne purent pas aller bien loin. Les allées qui serpentaient dans le jardin étaient impraticables : elles étaient envahies de branchages et de ronces, inextricablement enchevêtrées autour de statues mangées de lichens. Elles aperçurent bien des ébauches de chemins dans les massifs, de simples sentes d'herbes foulées, mais n'osèrent pas les suivre. Trop de choses déplaisantes semblaient prêtes à surgir de derrière ces fougères décolorées ou d'entre les feuilles coupantes des carex.

Le jardin paraissait s'étendre à l'infini, et la brume humide et imprégnée de relents de moisissure qui flottait dans l'air stagnant ne faisait qu'ajouter encore à cette impression d'immensité. À peu de distance de l'entrée, elles découvrirent une sorte de clairière, ménagée autour d'un long bassin rectangulaire. Des nuages de minuscules insectes dansaient au-dessus de la surface envahie de jacinthes et de lentilles d'eau ; on entendait coasser quelques grenouilles, cachées sous les larges feuilles des nénuphars. Un renard qui se désaltérait se redressa brusquement à leur arrivée, la moustache frémissante, puis disparut entre les buissons de roseaux comme un éclair roux.

Deux fontaines alimentaient le bassin : la première, ornée d'un Actéon dévoré par ses chiens, était à sec, et la seconde, une Diane au bain, sa pudeur sauvegardée par une cuirasse de mousse, ne laissait couler qu'un filet d'eau verdâtre assez peu engageant. Des bancs de pierre étaient disposés le long du bord et, dans un coin, au pied d'une urne plantée d'iris fanés, elles trouvèrent les restes d'un feu de camp vieux de quelques semaines.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant