CHAPITRE PREMIER : DÉCADENCE (5)

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Trois feux rouges, et deux virages plus tard, nous faisons face au lieu de résidence de Morgann.

Je sors rapidement en jetant le sachet de mon déjeuner dans une poubelle plantée dans l'asphalte, puis me rue dans sa maison, sortant de ma poche le double de ses clés.

Le père de Morgann est huppé, bien que peu influent, et peu présent sur les scènes médiatiques, ils sont aisés. Mais c'est une vie que jamais je ne pourrais envier, car Morgann en garde trop de séquelles qu'il ne m'a laissé entrapercevoir qu'une seule réelle fois, ce soir là, au lac, là où pour lui le souvenir semble encore trop vivace, mais qui m'a pourtant l'air, à moi, si lointain... trop lointain.

-Dans ma chambre, il m'ordonne alors que je passais rapidement aux toilettes.

Je me dirige ensuite vers sa chambre, m'étant au préalable lavé les mains en réfléchissant à comment appréhender la situation. Qu'est-ce que j'aurai à dire pour ma défense ?

Je pousse le battant et me rue sur son lit en faisant abstraction d'une cravate posée sur sa commode. Il y entre à son tour, et, calmement, il va poser un livre dans son immense bibliothèque qui envahit tout un pan de mur de son immense chambre, en bois d'acajou, asymétrique, avant de se défaire de sa paire de lunettes qu'il pose sur une commode en bois lisse.

La plafond est beaucoup trop haut à mon goût, la chambre, stérile, beaucoup trop froide. Rien ne dénote d'une certaine préférence, elle est à l'effigie de Morgann : cartésienne. Les meubles semblent tous dotés de cette particularité qu'est le charme opulent, construits dans des dimensions immensément inutiles, et aux tendances minimalistes par endroit.

-Alors ?

Il s'approche de sa fenêtre, et c'est là la seule et unique chose que je trouve étrange qu'il fasse : il s'y accroupit, les genoux pliés, assis sur ses talons, se contentant de me regarder, négligemment allongée sur son lit et vêtue de sa chemise.

-Où est ton père ?

Il hausse les épaules, ses bras ballants grossièrement reposés sur ses rotules. On dirait qu'il s'apprête à me bondir dessus, comme une bête.

-Alors ? Il redemande, cette fois de façon plus insistante.

-Pourquoi cela t'importe-t-il tant ? C'est bon ! Je ne m'énerverai pas deux fois pour les mêmes bêtises.

Son regard ne témoigne d'aucun intérêt quelconque, pourtant, il continue :

-Je veux savoir ce qui te tracasse vis-à-vis de moi, car je ne comprends pas ton comportement. Je ne comprends pas que tu doutes de quoi que ce soit. Elle m'a insulté ?

-Non !

-Alors quoi ?

-Je... J'ai... J'éructe, elle a dit que... que parce que j'avais cette foutue réputation tu...

Son regard reste braqué dans le mien, froid et tranchant, m'ébranlant. Implacable.

Tout à coup, il se lève, se redresse, fait rouler ses épaules, puis s'avance lestement d'une démarche brute, grimpant sur son lit près de moi.

Allongée, je l'observe s'asseoir à califourchon sur mon bassin, serein, et m'enjoindre de continuer.

-Elle a dit qu'un jour, tu partirais.

Cette fois, son regard descend sur mes lèvres.

Un bourdonnement indistinct incruste mes tympans. Non, il n'est pas en train de se passer, ce que je crois qu'il est en train de se passer...

BIG BANG - Mon mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant