CHAPITRE 4 : TORTIONNAIRES (9)

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(Musique en média)

Là, maintenant, à nouveau, ça me reprend, ce déchaînement qui m'écartèle, ne faisant qu'une bouchée de ce qu'il me reste de bon sens.

C'est moi qui choisit... Ce n'est pas eux.

Je me maudis, en me redressant, de déjà céder à la tentation. ma main glisse sous ma paupière inférieure, peinant à réfréner des torrents de larmes qui coulent abondamment sur mes joues.

Mon coeur me fend la poitrine, il m'oppresse, comme j'aimerais m'en débarrasser, tant il me fait mal !

Je laisse glisser le tablier au sol. Dans la salle, les derniers clients s'en vont. J'ai fini mes tâches... Décidée et déterminée, je me glisse discrètement dans la réserve pour enlever mes vêtements de travail, puis en ressors, mon sac à la main, les larmes persistantes au bord des yeux.

-Hé, Sacha, ça va...? s'inquiète Ophélie.

Mais il me reste près de cinq minutes avant l'arrivée de Morgann, et il ne peut pas me voir dans cet état, salie, bafouée. Car alors, encore, il s'en voudra de m'avoir laissé. Avec cette odeur dans mes cheveux... Ce dont il m'avait averti un peu plus tôt... Tout ce qui me trahit...

-T'en fais pas Ophélie, il faut juste que je me dépêche.

Les sourcils froncés, elle me regarde m'en aller sans m'en demander plus, visiblement prise de court. Je profite de la cohue pour sortir cachée, espérant de tout mon coeur, de toute mon âme, que Raphaël ne m'ait pas aperçu... Qu'il s'en soit seulement allé, me laissant tranquille.

Je ne veux plus jamais le voir, plus jamais le voir...

Remontant la rue à pas pressés, je jète un regard à l'heure sur mon téléphone. Je devrais pouvoir le faire.

Par instant, mes yeux s'abîment dans la contemplation de l'asphalte, comme s'il devenait instantanément une marée noirâtre diaprée prête à m'avaler, me plongeant ailleurs...

Je devrais pouvoir le faire.

Juste à cet instant, ma certitude vole en éclat, ou en fumée, je ne sais pas, je ne sais plus. Une voiture freine subitement près de moi, les pneus crissant sur la route comme si des ongles griffaient un tableau, m'arrachant à ma contemplation forcée de mes pieds qui tapent le sol.

Je reconnais immédiatement le modèle, et même la plaque d'immatriculation.

Je m'arrête. Mon coeur pulse à mes tympans. Boum, boum, boum... Je ferme les yeux, sentant la brise du soir caresser mon visage rougi par mes mains qui n'ont eu de cesse de le frotter pour faire disparaître ces larmes disgracieuses, révélatrices d'un acte infâme.

Une mèche de cheveu vient voleter contre ma mâchoire, la caressant plus doucement que je n'ai su le faire. Ma main se ressert autour de la lanière de mon sac comme pour se cramponner à quelque chose avant que tout ne déchante. Le vent bruisse à mes oreilles, mon souffle se saccade, les bruits ambiants deviennent sourds.

J'aurais voulu éviter... éviter tout ça...

Sa main s'abat avec une douceur à me redonner vie, délicatement, dans ma nuque, alors que je l'entends marcher autour de moi pour placer son visage face au mien, légèrement courbé vers l'avant pour être à ma hauteur, son souffle frais parcourant mes traits... Comme j'aime qu'il fasse cela... Je suis d'autant plus certaine de sa présence, plus encore que lorsque j'aperçois ses deux pupilles ternes et vides.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Sa voix est ferme, son ton autoritaire.

Mon souffle se rompt sous l'intensité de sa question. Elle ricoche contre chaque paroi de mon cerveau ankylosé : Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce qu'il s'est passé...?

BIG BANG - Mon mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant