CHAPITRE 3 : PERDITION (6)

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(Musique en média)

On arrive enfin chez lui. Visiblement, son père ne rentre pas ce soir. Je l'espère, en tout cas.

-Qu'est-il arrivé à ton téléphone ? Il demande alors que je grimpe les marches jusqu'au perron.

Face à moi s'étend l'immense maison de Morgann, trop grande pour seulement deux hommes. Au dessus de ma tête se délimite la terrasse du premier étage, blanche et soutenue de poutres qui s'enfoncent dans le sol, près du perron en dalles.

-Je l'ai oublié chez moi.

Je suis tellement frappée de remords que plus aucune expression ne tire mon visage, mais on parle de Morgann...

-Tu me diras la vérité avant d'aller dormir ?

Je me mords la lèvre, signe d'assentiment improbable, puis il ouvre la porte et me laisse entrer.

Le salon est une immense pièce peinte d'une couleur anthracite satinée, une télévision trônant au mur, entourée d'un meuble noir laqué sur lequel sont, encore, entreposés des livres, un lecteur DVD, et une box. Un long canapé en cuir noir longe le mur opposé, et une table basse rehausse le tout par sa couleur auburn. Seule note de couleur, si ce ne sont les bougies parfumées près de la bibliothèque au mur adjacent à la cuisine, dont la porte est close.

On passe très peu de temps ici, voire aucun.

La vérité c'est que, à chaque fois que je viens chez Morgann, nous nous enfermons dans la chambre et passons du temps à lire, parler - très peu, car je fais seule la discussion - ou alors nous restons allongés à fixer le plafond tandis que je lui narre l'histoire d'un monde inventé, d'un monde à l'envers... D'un monde où il n'y a que lui et moi.

C'est ce qu'il préfère, la plupart du temps, et lorsqu'il se prête au jeu, il ajoute même quelques détails à la limite du raisonnable. Ça, ça m'amuse, car il est si rationnel et cartésien, que j'ai parfois l'impression que toute sa personne se limite aux faits avérées et vérifiables, mais c'est faux... Et c'est là que je comprends combien il est important, pour lui aussi, de s'évader de son monde par les quelques paroles que je lui permets dans ces moments là où on s'envole à deux.

Le tic-tac de l'horloge me ramène à la réalité. Je reste droite, le dos voûté, les yeux mi-clos.

-Tu es passé par chez moi, n'est-ce pas ? Je devine, l'examinant enlever son manteau qu'il pose soigneusement sur un cintre avant de le mettre dans le placard de l'entrée.

Dans sa précipitation, il l'avait oublié dans sa voiture, et ça, ça ne lui ressemble pas.

-Comment le sais-tu ?

-Car sinon, tu m'aurais proposé de rentrer.

Il hoche la tête sur la droite, puis acquiesce.

-Il vaudrait probablement mieux laisser quelques temps de répit à ta mère. En attendant... Restons ici, ensemble.

Je décide de monter dans sa chambre sans l'attendre, puis je remarque à nouveau la cravate posée sur la commode, n'ayant pas bougé d'un millimètre.

Pourquoi la laisse-t-il ici ?

Je l'entends monter à ma suite, mais mes yeux voguent vers un costume dans sa housse toilée légèrement entrouverte, gris cendré, allongé sur le lit. Contrairement à la cravate noire posée sur la commode en bois, celle-ci est bleue ciel.

-Elle s'accorderait bien avec la couleur de tes yeux, celle-ci, je fais remarquer en la prenant délicatement dans mes mains.

Il déchausse son nez de ses lunettes, et ses yeux animés d'une flamme ardente absorbent les miens, les happe dans un souffle.

BIG BANG - Mon mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant