CHAPITRE PREMIER : DÉCADENCE (6)

261 24 4
                                    

(Musique en média)

Une fois sortie du bus, la pluie me frappe de plein fouet, ainsi que le vent qui projette mes cheveux à l'arrière de mon visage qui me gratte. J'entre dans le bar, une main sur la joue, et m'assois à une table près d'une fenêtre rutilant les lampions colorés accrochés par dizaines le long d'une barre de bois redéfinissant les pourtours du comptoir, laissant reposer ma tête dans la paume de ma main.

La musique ici est assourdissante à cause de la baffle au-dessus de ma tête. Elle me permet d'oublier à quoi je pense. J'y reste quelques minutes, les yeux dans le vide, à attendre... Puis je me lève et vais près du bar où je m'assois en posant mon sac à côté de moi, pour garder la place.

Et le premier verre m'est servi. J'ai commandé une bière, que je bois lentement, les yeux sur l'horloge alors que peu à peu, le bar se remplit sans même que je ne m'en rende compte, tant je suis obnubilée par les aiguilles qui tournent, tournent, tournent...

J'ai pris un deuxième verre. Celui-là, c'était un cocktail, il était rouge, sucré. Il me semble qu'à ce moment là, le temps s'étirait lentement entre mes doigts, comme un sable coulerait entre les failles distendues de peau, trop lentement, alors que je n'attendais qu'une chose : que Morgann apparaisse enfin.

Mes yeux jonglent de l'horloge à la porte, successivement, dans un ordre incohérent. Impatiente, je fais glisser une mèche de cheveu derrière mon oreille, en commandant une seconde bière, en tentant vainement d'oublier la seule certitude qu'il me restait à cet instant là : le temps.

Il file à présent si abstraitement que je m'aventure dans mes songes et me perds dans des pensées insensées.

Mon téléphone vibre, je saute littéralement dessus, braquant mon regard sur le message que je viens de recevoir. Déception, il ne s'agit que de ma mère qui me somme de rentrer, avançant que ça fait un moment qu'elle ne me voit plus, qu'elle s'inquiète.

Mon sang ne fait qu'un tour à l'idée que peut-être, ce soir, Morgann ne réapparaîtra pas. Il m'a fait trois fois ce coup là, et les trois fois, je suis repartie chez lui en larmes, me promettant que la prochaine fois j'interviendrais quoiqu'il m'en coûte. Mais ses remontrances ont vite fait de m'empêcher de mûrir une telle idée. Il ne m'a ouvert que quelques secondes, pour ensuite me pousser à rentrer chez moi froidement, les yeux ailleurs.

J'ai pris un quatrième verre, mais je ne me souviens plus de l'ordre dans lesquelles je les ai commandé.

Cette fois, je m'avachis complètement sur le bar, mon menton dans le creux de mon coude, les yeux flottants sur la feuille de menthe nageant dans mon verre.

Je me concentre sur quelques détails infimes pour passer outre mon obsession : la main du serveur légèrement poilue qui chiffonne le plan de travail, la musique assourdissante dont le rythme semble finir par cadencer mon cœur, la légère perle de sueur au front de mon voisin, le crayon noir débordant de la femme qui se trouve à ses côtés. Le soleil qui disparaît, les étoiles qui se mettent à danser, les néons qui se braquent dans tous les sens.

Je ferme les yeux, juste quelques secondes, et tout, autour de moi, s'éteint.

Je perds mon accroche avec la réalité, je glisse, je sombre, happée. Je ne sens que la mèche de cheveu qui glisse le long de mon oreille, jusque ma tempe transpirante, planant dans un abîme...

Morgann est là.

...puis tout reprend brutalement, me percute de plein fouet de tous côtés.

Sa main est doucement posée sur ma joue qu'il caresse, alors que je me mets à pleurer à nouveau, tout contre lui.

-Je t'ai dit de ne pas venir ici.

BIG BANG - Mon mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant