CHAPITRE 2 : DÉMONS (5)

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Il n'y aura pas touché de la soirée. La deuxième partie du match s'enclenche, après un petit temps d'accalmie, et je m'écroule sous les commandes, ainsi que les plats à récupérer et les tables à nettoyer.

-Karl arrive quand ?! Je suis en train de me tuer à la tâche !

Ophélie relève le regard des fourneaux en riant :

-Il m'a dit qu'il arrivait, ne t'occupe pas des tables, je le ferai !

Sa voix parvient étonnamment à surplomber le désordre sonore ambiant. Je secoue la tête, m'interdisant de laisser des déchets traîner sur les tables pour les nouveaux clients.

J'attrape la bouilloire et m'approche de Morgann en jetant un sourire à Stan.

Stan, il est toujours là. Il ne manque aucun soir. J'ai commencé à le voir venir il y a un an, deux ans avant, sa femme le quittait en prenant les enfants avec elle pour un homme plus aisé et plus « protecteur », il m'avait dit... Il avait même insisté.
Au début, ça allait, il s'en sortait plutôt bien pour un homme brisé, puis... Peu à peu tout s'est dégradé, en raison de la somme conséquente qu'il mettait dans chacune de ses beuveries et dans les jeux. Il a perdu sa maison et réside maintenant dans un centre d'accueil pour sans-abri. Le peu qu'il gagne dans la journée, il le dépense le soir dans de l'alcool ou bien dans des paris. Il est enfermé dans sa boucle vicieuse.

Je m'assois face à Morgann, le visage clos.

-Tu ne manges pas ?

Il secoue la tête sans relever le regard, visiblement plongé dans sa lecture. D'habitude, c'est moi qui prépare son plat, mais aujourd'hui, je ne pense pas le faire, et la culpabilité me ronge. Je sais que je suis en train de le punir pour un sentiment abstrait et qui m'effraie; car, en soit, il n'a rien fait de mal.

J'agis égoïstement pour une raison qui n'a pas lieu d'être.

Je souffle.

-Tu veux un thé ?

Il répond par la négative à nouveau, sans dire un mot. Ses bouclettes brunes restent figées sur son crâne : le retour du robot...

-Très bien, je chuchote en me relevant.

Mes pas se dirigent seuls vers Stan. Il est plutôt gentil, quoiqu'un peu excentrique. Une nouvelle vague d'acclamation survient dans le restaurant, suite à l'annonce d'un but.

-Tu veux du thé, Stan ?

Il acquiesce, quand une idée me vient à l'esprit. Je prend place et il me fixe, circonspect.

-J'ai un deal, je souris.

Il me sourit à son tour. On a l'air de deux enfants qui s'apprêtent à faire une bêtise, bien que les intentions qui m'animent en sont tout le contraire.

-C'est quoi ?

Stan est plutôt chétif, le visage rieur, et des habits en loques. J'aimerais l'aider, mais on pourrait dire que je suis un palier au-dessus de lui : ça n'est pas suffisant.

-Si je t'offre ton repas, est-ce que tu accepteras de me laisser payer ton taxi pour te raccompagner à ton centre ?

Il fronce les sourcils.

En effet, le mois dernier, je ne l'ai aperçu ni le mardi, ni le jeudi : les jours où je suis de service. J'ai aussitôt appelé son centre pour avoir des nouvelles, mais ils n'en avaient aucune à me fournir, alors j'ai appelé la police. Il a été porté disparu pendant près de huit jours, des affiches ont été placardées par moi et Morgann étant donné que la justice n'estimait pas nécessaire de mettre en oeuvre autant de moyen pour un homme jugé instable.

BIG BANG - Mon mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant