Noa pensait vivre sa vie de manière la plus classique jusqu'à ce fameux soir où elle s'endort et se réveille entourée de personnes en blouses blanches, dans un cerceuil. Prise de panique, les mots ne parvenant pas à franchir ses lèvres, elle voit un...
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— Joe ?
Je cligne plusieurs fois des yeux, incapable de réagir tout de suite. Et je me retourne vers Maxance, presque les larmes aux yeux.
— C'est Joe !
Il ne répond rien. Je la regarde de nouveau et croise son regard. Le même que tous les autres derrière elle. Elle penche la tête sur la gauche et sourit.
— Pas de place pour les faibles.
Sa voix. Elle parle. Elle est si différente. Elle fait un pas vers moi et je braque mon pistolet dans sa direction, d'abord vers son coeur, puis vers sa tête. Mes mains tremblent sur la crosse de l'arme. J'entends le souffle irrégulier d'Ash derrière moi qui est assit au sol avec Evie qui le maintien. Il souffre de sa blessure au mollet. Le sang de sa plaie doit exciter les sens des Dégénérés. Qui sait si il ne va pas en attirer d'autres... Je vais devoir le faire.
— Noa !
Il va falloir que je fasse ce choix moi-même. Sauver mes coéquipiers. Ou les laisser tomber.
— Fais-le !
Pas cet ordre. Je ferme les yeux. Je dois me concentrer mais mes pensées me submergent.
— Il faut qu'on parte !
Et puis je le fais. Les yeux fermés, mais je le fais. Je tire. Je tire une balle dans la tête de Joe. Des hurlements et des grognements se font entendre. Quand je rouvre les yeux, je croise le regard vitreux de mon ancienne camarade. Ma camarade qui n'avait rien demandé et qui a maintenant une balle dans la tête. Ma balle. Je lâche mon arme. Je suffoque. Maxance la ramasse et me tire par le bras pour partir avec les autres. Les Dégénérés ne nous suivent pas et font demi-tour, mais je sais qu'ils reviendront nous traquer. On a tué et blessé plusieurs des leurs. L'Arbalète aide Evie à mettre Ash à l'arrière de la voiture en mettant son blouson sur la banquette pour éviter que le sang tâche les sièges. Maxance monte avec eux. Je m'assois côté passager, je n'ai pas les idées assez claires pour conduire. Douze s'assoit sur la portière, vitre baissée, pour ne pas être sur moi.
On retourne à la maison. Douze et Evie installent Ash sur le canapé et lui retire sa chaussure pour déchirer son pantalon et voir la plaie. La blessure est ensanglantée et répugnante. Il me faut de l'air. Je sors de la maison. C'est de ma faute si il a souffert plus longtemps. Je n'ai pas été assez rapide. Quelqu'un arrive derrière moi. L'Arbalète.
— Je ne peux pas. Il faut qu'on rentre. On n'y arrivera pas. Je n'y arriverai pas. C'est pas chez moi. Ash est blessé par ma faute et je viens de tuer quelqu'un ! Je viens de tuer Joe !
— Ce n'était pas elle. (Il marque une pause) Ce n'était plus elle. Tu le sais.
Il fait un pas vers moi.
— Je ne veux pas de tout ça. De cette Réalité. Je veux retrouver ma vie, mes parents, mon meilleur ami, ma famille. Je veux que tout ça s'arrête ! Je-
Et il me gifle. Littéralement.
— Qu'est-ce qui te-
— T'as plus de vie Noa. T'en as jamais eu. Tout était faux. Tes parents, tes amis, tout était bidon ! Ils n'existent pas. Ta vie c'est ça ! (Il désigne le paysage autour de nous) Notre vie, c'est ça ! Il n'y a rien d'autre. Ash est blessé, ce sont des choses qui arrivent et qui continueront d'arriver. Surtout si tu ne te fais pas confiance. Chacun de nous a la vie des autres entre les mains, toi y compris. Ne fais pas l'enfant Noa ! Tu n'en n'es plus une, t'es une adulte et oui, t'as plus de famille. Mais t'en as jamais eu. Et nous non plus. On a plus rien, plus personne. Nous aussi le Réveil a détruit tout ce qu'on avait. Et Dieu sait à quel point ça a été dur pour nous tous. Tout ce qui te reste maintenant, c'est moi et les quatre personnes à l'intérieur de cette foutue baraque. C'est nous maintenant, depuis ton intégration dans cette Unité on est devenus ta famille. Donc tu vas te reprendre et devenir la personne que tu renfermes depuis le début. T'as merdé mais tu nous as aussi sauvés aujourd'hui. Essaie de garder ça en tête. C'est beaucoup plus important que prendre une vie. Surtout celle de quelqu'un qui n'aurait eu aucun scrupule à prendre la tienne.
Puis il repart dans la maison. Il me laisse là, seule au milieu de la rue, la vue brouillée par les larmes. Je n'ai plus personne. Je n'ai jamais eu personne. Jusqu'à maintenant. Ça devient tout de suite plus facile de tenir une arme quand on prend la vie de quelqu'un. J'ai tué quelqu'un. Quelqu'un que je connaissais et qui a compté pour moi, même le temps de quelques semaines.
Mais j'ai sauvé ma famille. Je tourne la tête vers la fenêtre et je vois Douze poser une serviette humide sur le front d'Ash qui se tort de douleur sur le canapé pendant que Maxance le recoud. Ma famille. Pas seulement des amis. Pas seulement des coéquipiers.
Je croise le regard de L'Arbalète à travers le carreau. Il a tué son frère. J'ai tué Joe. C'est ça ma vie maintenant. J'essuie mes yeux, prend une inspiration et retourne à mon tour dans la maison.
