Partie 3

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Je me tourne brusquement et découvre une grande femme brune. De longues dreds lui arrivent en bas du dos. Elle porte un court top en cuir rouge qui révèlent de nombreux tatouages au Énée sur ses bras et dans son dos. Un pantalon en simili cuir dessine ses jambes parfaites et interminables. Un peu intimidée par cette beauté bien insolite je m'avance, main tendue.

- Bonjour je suis envoyée par le Delivery pour faire l'article sur l'ouverture. J'ai frappé mais n'ayant pas de réponse je me suis permise d'entrer.

Ma main reste en suspend. J'aurai été vexée si je ne m'étais pas aperçue qu'elle restait bouche bée, les yeux grands ouverts. Une cicatrice barrant son œil vert remue quelque chose en moi comme une impression de déjà vu.

- Je, hum...je suis peut-être arrivée un peu trop tôt ?

Elle me dévisage de bas en haut pas franchement discrète. Mon embarras s'accroît lorsqu'elle se met à tourner autour de moi les yeux tantôt froncés, tantôt stupéfaits.

- Excusez-moi, comme je vous l'ai dit je viens pour rédiger l'article.

Elle se place alors devant moi, le visage penché en avant pour scruter mes yeux comme un docteur le ferait.

- Vous me faîtes penser à quelqu'un que j'ai connu il y a au moins un siècle ! D'autres temps, d'autres lieux.

Drôles d'expressions. Elle n'a pas l'air beaucoup plus âgée que moi. La trentaine peut-être ?

- Vous devez faire erreur, j'ai toujours habitée ici, maintenant si vous voulez bien, je réponds l'agacement prenant le dessus.

Un petit sourire se dessine près de ses lèvres charnues.

L'ai-je connu ? Ai-je bien toujours vécu ici ? Je suis incapable de répondre à ces questions. La seule qui aurait pu m'aider c'était ma défunte grand-mère. C'est elle qui m'a rapporté l'accident ayant coûté la vie à mes parents. Un chauffeur ne s'étant pas assez reposé a percuté notre voiture en s'insérant sur l'autoroute, j'avais alors dix-sept ans. A la rentrée, ma grand-mère m'a changé de lycée afin d'éviter les questions pénibles et j'ai rencontré Lucie. Mon cerveau a comme censuré mon drame ainsi que tous les souvenirs antérieurs de ma vie jusque là. Les médecins ignorent pourquoi. Je ne suis pas un cas unique dans le genre mais en général les patients recouvrent la mémoire dans les mois qui suivent, ce qui n'est pas mon cas. Comme si mon cerveau avait voulu m'épargner la douleur et les souvenirs.

J'aimerai tellement me rappeler, revoir leur visage, même si cela signifie en souffrir.

L'absence et l'ignorance n'excluent pas l'absence de douleur. Au contraire,j'ai l'impression d'avoir au quotidien un poids sur le cœur.

Mon interlocutrice se racle la gorge et me ramène au présent.

- Bien. Avant toute chose, il faut que vous sachiez que la propriétaire est très exigeante. C'est une femme extrêmement influente et puissante. Elle ne se lance pas au hasard dans un projet. Elle y investit beaucoup. L'Antique est la première boite de nuit qu'elle ouvre en France. Plusieurs sont déjà actives en Europe et connaissent un véritable succès: personnalités, concerts privés...Est-ce que vous prenez des notes ? s'interrompt-elle.

Je secoue la tête, gênée par mon manque de professionnalisme et lui réponds que j'enregistrais mentalement. Je saisis toutefois mon calepin devant ses sourcils interloqués.

- Elle a souhaité ouvrir cette boite en dehors de la ville pour faire un certain tri. Nous pouvons accueillir sept cent personnes. Une sélection sera faite à l'entrée et en amont.

- Qu'entendez-vous par là ? je demande, prenant enfin les rênes de l''entrevue.

- Faudra-t-il alors enregistrer certaines informations pour valider sa réservation ?

- Une entrée à partir de 24 ans et des pré-réservations en ligne.

- certainement : nom, prénom, date de naissance ainsi qu'une copie de la carte d'identité pour appuyer ces données.

- Vous avez évoqué la présence de personnalités et de concerts privés, comptez-vous en faire autant dans cette boite de nuit ?

- Tout à fait, tous les mois nous ferons un concert avec présence de personnalités ainsi qu'une soirée à thèmes.

- Comment comptez-vous communiquer ces informations ?

- Elles seront visibles sur nos pages facebook, instagram et si Madame est satisfaite de votre article, nous pensions vous les communiquer régulièrement et autoriser la prise de photographies lors de ces événements.

L'interview se termine lorsque j'ai obtenu les horaires, l'ambiance musicale et le plan de développement. Arrivée à l'entrée, je la remercie et remarque une nouvelle fois son regard curieux.


- Tenez, me dit-elle en me tendant quatre billets, venez faire un tour samedi. Cela pourrait être...intéressant, ajoute-t-elle étrange.

ArèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant