« Laissez entrer le passé, ouvrez une parenthèse dans le présent, préparez-vous à écrire votre futur ». Or Thalya a tout oublié. Un traumatisme lui bloque l'accès à ses souvenirs. La nuit, d'étranges rêves ou souvenirs du passé viennent la hanter...
Les coups sont trop vifs et agiles pour pouvoir les suivre. Quelques étincelles crépitent de la rencontre brutale des deux lames et laissent percevoir dans toute cette noirceur, entre deux colonnes, la silhouette de celui qui est sans conteste le maître de ces monstres. Corps massif, dépassant de deux bonnes têtes hommes et créatures, interminables cornes aiguisées. Son visage est monstrueux. Ses yeux écarlates abritent sans aucun doute le diable en personne. Sa mâchoire s'ouvre sur une rangée de canines, conçues pour déchiqueter la chair et faire couler le sang. Puis soudain, surgit de ses entrailles, un rugissement si puissant qu'il trouve écho dans chacun de nos corps jusqu'à nos pieds qui subissent un tremblement de terre. Ragaillardis, les monstres répondent de concert et brandissent leurs armes, signifiant la reprise des combats. Face à lui, nullement intimidé un heaume corinthien s'élance déterminé lame en avant. Le cimier doré sur son casque ainsi que la cuirasse assortie révèlent l'importance de son rang.
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Brusquement bousculée, je reprends conscience de l'état d'alerte général. Je ne sais quelle force me pousse à traverser ce champ de bataille décidée à porter main forte à celui dont j'ai deviné l'identité. Je cours avec hargne, la rage au ventre vers le temple, traverse l'agora. Une combattante atterrit à mes pieds après avoir été propulsée. Je découpe la main tenant le gourdin qui lui était destiné. J'esquive une charge, décoche une flèche dans la nuque de la créature. Elle grogne, brise la pique et charge à nouveau. Je me joue d'elle, tel un machistador. Avec un certain plaisir, je lui cisaille le mollet, le plie. A terre, il ne me reste plus qu'à lever ma lame et .... La bête pousse un terrible cri à en percer les tympans. Un hurlement perceptible par tous. A cet instant, les battements frénétiques de mon cœur déclenchent en moi une intuition si intense qu'instinctivement mes yeux trouvent la source de cette alerte. A travers tous les combats de la grande place, deux têtes se tournent vers moi. L'une inquiète, l'autre habitée d'une détermination farouche. La dernière survole les marches du temple, balaie tout sur son passage d'un revers de marteau. Chaque pas fait trembler aussi bien la terre que mon coeur. Ses yeux écarlates ne me quittent pas tandis que je porte le coup fatal au monstre agenouillé devant moi. Le ciel éclate à nouveau. Le tonnerre gronde et la foudre recommence à tomber. J'ancre mes pieds au sol, serre mon couteau. Mon cœur pulse à dix mille, se demandant comment survivre à la collision de cette machine lancée à toute vitesse. A nouveau et de manière insoupçonnée, mon instinct de survie se révèle être mon meilleur allié. Chaque sens est décuplé, mon corps se raidit, se prépare à l'attaque. Les cornes monumentales luisent dangereusement. Les laisser venir, attendre le dernier moment puis biaiser. C'était sans compter la puissance du guerrier. Alors que je feinte, un cri de douleur s'échappe de ma bouche, profondément embrochée, puis traînée au niveau de l'épaule. Cette merde a dû atteindre les tendons. Mon bras ne répond plus et pire que ça, lâche ma lame. Mon agonie s'intensifie lorsque la bête me secoue dans les airs telle une poupée de chiffon. Je ferme les yeux priant pour que tout s'arrête. De mon bras libre, je tente d'atteindre son cou avec l'arbalète. Peine perdue. A l'inverse de ses petits soldats, le col de l'armure du géant lui monte si haut que l'encolure est inatteignable. Soudain, le monstre se met à valser sur un pied. Profitant de son instabilité, je rebondis sur le sol et hurle à pleine voix lorsque je m'arrache de la corne geôlière. Le sang gicle sans discontinuer de mon épaule. Soudainement je suis balayée par une poigne de fer qui me repousse en arrière. Je me retourne derechef prête pour le second round. Je relève les yeux sur une armure dorée et des cheveux bruns qui flottent au vent et s'interposent entre moi et ce salaud. Le pommeau de son épée glisse facilement entre ses doigts experts. Tout son corps se raidit, en attente du prochain mouvement ennemi. Une légère faiblesse s'empare de moi. Un profil figé se tourne à demi vers moi. Ses prunelles grises me fusillent du regard, l'air plus glacial que jamais. Sa mâchoire est pincée, furieuse. Nul besoin de mots pour m'intimer de rester en retrait. Une demie seconde d'inattention qui profite au monstre. L'épée s'abat lourdement sur son flanc gauche, arrêtée par la rapidité du soldat. Les yeux écarlates sont verrouillés sur leur cible, ils ne me quittent pas. Tous les coups donnés tentent de percer ce mur de protection autour de moi. Je me déplace dans les pas de celui qui me protège. J'essaie de m'abaisser atteindre mon couteau mais sa lame m'effleure, trop rapide. Arès me projette le plus loin possible puis passe à l'offensive. Les coups sont brutaux, rapides. Soudain, l'épée adverse s'envole dans l'air. Le monstre pointe les cornes en avant, désormais seules armes contre nous et charge. Je me recule quatre à quatre. Une corne tombe à terre, tranchée net. Mais le monstre est lancé et écrase celui devant lui. Une plainte sourde meurt dans la bouche du guerrier étouffé. Le coprs massif se soulève, pris de soubresauts. La tête se dresse vers moi, ses yeux désormais en cendres me transmettent un message. J'ignore lequel. Un ongle me pointe avant de retomber mollement à terre. Le corps roule sur le côté pour libérer son prisonnier ensanglanté. Sa main retire son épée enfoncée dans le corps sans vie. Il se relève lorsque d'un coup le ciel éclate de partout. Le tonnerre explose les tympans de tous ceux qui lèvent alors la tête et mettent genou à terre. La foudre frappe l'agora à plusieurs endroits. Le spectacle est puissant, perçant. Une pression rude me broie les avant bras avant de me ramener vers un torse ferme. Je lève les yeux vers le visage le plus virile que je n'ai jamais pu apercevoir. Les cheveux lui collent à la peau, sa lèvre pleine est pincée, ses yeux gris contiennent une fureur mêlée à une crainte que je ne comprends pas. Il me tire prestement à l'autre bout de la place. Je suis obligée de courir pour tenir le rythme. Il me fait entrer par une porte défoncée.
-Brigade... de... ville, ses mots sont hachés à travers son souffle saccadé.
Ses yeux m'implorent cette fois de lui obéir et de rester ici. Sans plus un regard, il enjambe les restes de la porte. Je m'y agenouille et jette un oeil dehors.
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Une dernière fois le tonnerre explose suivit d'un immense éclair qui nous éblouit tous. Lorsque je rouvre les yeux au centre de tous les survivants un homme impose le silence. Ses cheveux et sa barbe poivre et sel se confondent. Ses traits parfaits sont froncés. Il pose ses yeux sur le spectacle navrant autour de lui. Une toge blanche couvre sans cou et descend jusque ses pieds. Un éclair à la main, il s'avance encore et je remarque deux femmes restées en retrait. L'une visiblement aveugle, prend appui sur une canne. Ses cheveux blancs trainent à ses pieds. L'autre femme se découpe, immense et imposante. Une force incroyable émane d'elle. Un large casque repose sur sa longue chevelure brune. Les voiles blancs de son uniforme armé s'envolent jusqu'au ciel. Elle est immobile telle une statue grecque avec sa lance dorée. Arès...J'ai encore du mal àle nommer ainsi, même dans ma tête, parcourt l'assemblée. Arrivée à leur hauteur la femme lui jette un regard méprisant avant de reprendre une pause immobile. Le héros de la nuit ploie un genou au sol et incline la tête respectueusement. Le faisceau lumineux lui relève le menton. Sa grimace n'échappe à personne.
-Tu as des choses à m'expliquer mon fils, résonne la voix grave et menaçante du tout puissant.
La foudre ne le quitte pas, j'aperçois d'ici les lésions créées. Les muscles de sa mâchoire se contractent mais le fierté l'emporte sur la souffrance indéniable. Mon sang ne fait qu'un tour. Quel père inflige une telle douleur à son fils? Je serre les dents. Mes poils se hérissent tandis qu'une tension incontrôlable s'infiltre en moi. Mue par sa propre volonté, elle serpente sournoisement le long de toutes les veines de mon corps. Je tente de refouler ce ras de marée émotionnel qui menace de m'échapper et de tout balayer autour de moi. C'est si puissant que je sens que je ne peux le maîtriser trop longtemps. Je ferme les yeux, respire, crispe les poings à plusieurs reprises. Mes yeux se rouvrent sur la vieille aveugle qui se penche sur sa voisine. Elle semble lui murmurer quelque chose à l'oreille. Après quoi, celle-ci fait résonner deux fois sa lance au sol. Une poignée de soldats accourent, traînant le corps ennemi sur un brancard de fortune, le dépose aux pieds de l'aveugle. Au comble de l'horreur, les doigts crochus de la vieille folle se mettent à ouvrir le crâne en deux. Son majeur coule sur le filet de sang qui s'échappe instantanément pour le porter à sa bouche. Une lumière fluorescente vient habiter ses yeux qui battent à tout va. Quels genres de nouveaux monstres ai-je là?Je serre à nouveau les poings, ma colère à son apogée devant le guerrier désormais recroquevillé de douleur. Mes phalanges m'envoient des décharges électriques qui remontent jusqu'à mes avant-bras. Mon coeur s'emballe, ne sachant ce qu'il arrive. J'étends les mains devant moi. Entre mon indexe et mon majeur une légère étincelle frétille. J'ouvre de grands yeux mais pas autant que le dieu des dieux qui fait des va-et-viens entre sa main vide et son fils qui souffle. Une voix d'outre-tombe s'élève, brisant le silence.
-Les portes du tartare s'entrouvrent sur l'espoir et la destruction. Le notre ou le leur? Nul ne sait encore le dire. Accueillez la voleuse dans la nuit, qui seule prédira l'avenir.
Un brouhaha s'élève dans les rangs. La dernière chose que je vois est l'échange visuel muet entre les trois dieux, avant de sombrer dans un trou noir.