Chacun rejoint un maître d'arme selon le potentiel décelé et la gravité de ses blessures. Trois groupes s'établissent vite. Parfois un nom sort sans désignation et est escorté vers la sortie. Lorsque tous les appelés ont déserté l'arène je constate qu'il ne reste plus que moi au centre. L'auditorium s'est désempli et la tribune présidentielle se vide sans plus m'adresser un regard. Désormais seule, je m'abaisse, saisis mon baluchon et me dirige vers le tunnel. Quel abruti ! Je peste contre cet Arès, la colère me revient vicieuse. Faire tout ce chemin, me demander de venir ici, rejoindre un Andréas qui ne fait aucun cas de moi, me battre contre une montagne de muscles sans me couvrir de ridicules, tout ça pour me faire jeter sans même prendre la peine de me le dire en face?! Comme si je n'existais tout simplement pas. Rageuse, je marche d'un pas résolu vers la sortie, empruntant les couloirs de marbre du palais.
- Thalya Ioannis ? me surprend une voix masculine.
Je me retourne vers le chargé d'appel et grogne un « quoi »peu aimable.
- Si vous voulez bien nous suivre, poursuit-il d'une voix plate.
L'administré tourne les talons sans prendre la peine de vérifier si je le suivais. Je lève vers lui un regard incompris avant qu'une silhouette aux muscles taillés dans le marbre ne se détache. Nos yeux se croisent un instant avant que lui aussi ne se désintéresse de moi.
D'interminables galeries lumineuses, grandes voûtes, arcs boutés et colonnes ioniques défilent dans un silence religieux où seuls nos pas résonnent sur le marbre. Un labyrinthe dans lequel il serait facile de se perdre. Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous ne croisons personne depuis un moment dans cette partie de la citadelle. A mesure que nous avançons la lumière diminue en intensité et le silence se fait pesant. Bientôt nous débouchons dans une sorte de cathédrale. Ici tout est brisé. L'atmosphère est lourde et m'oppresse. Sous un immense vitrail brisé deux escaliers se rejoignent. Une effigie poussiéreuse semble regarder le spectacle qui s'offre à elle avec désolation. La nature a repris ses droits ici. Ci et là des lianes viennent joncher le sol. Par endroit la rambarde est défoncée, le marbre encastré. Le temps semble suspendu sur un terrible évènement du passé.
Mon attention toute à cette découverte je ne me rend pas compte que j'ai stoppé et fixe la balustrade, m'attendant à je ne sais quoi. Mes doigts effleurent la surface poussiéreuse de la rambarde. Mes pieds gravissent la première marche tandis que mon cœur enjoint à mes yeux de trouver une réponse aux premiers battements qui l'assaillissent. Mes oreilles bourdonnent. Le ras de marée émotionnelle est imminent. L'assourdissement s'intensifie à mesure que je foule les marches. Trouver la réponse à cette sensation toute puissante qui m'oppresse, je n'ai que ça qui circule dans mes veines. Plus rien d'autre n'existe.
- Cette aile est strictement interdite. Vous ne devez jamais vous y trouver ! Vous entendez jamais ! Croyez-moi vous ne voulez pas connaître les conséquences de cette infraction.
Brusquement rappelée par une voix, je baisse la tête vers cette poigne de fer qui me brûle l'avant bras. Mes yeux subissent le regard azur de l'assaillant. Mâchoire crispée, il pointe du menton l'émissaire qui me fixe naseaux frétillants. Mes yeux font des aller-retours entre mon objectif et l'homme qui me tient toujours. A regrets ils se détournent. La main glisse dans mon dos, douce mais ferme. Le cœur lourd, chaque marche est une torture et me laisse le poids d'un désir inassouvi.
Retrouver cet endroit dans ce labyrinthe immense ne sera pas aisé. Après avoir traversé de nombreux couloirs, monté et descendu plusieurs escaliers, tourné à gauche puis à droite, je pousse la porte d'une chambre isolée de toutes traces de vie. Blanche, impersonnelle, meublée seulement d'un lit taillé dans le marbre ainsi que d'une petite fontaine.
Ici chacun paie sa place, avait-il dit en claquant la porte.
-Je maudis cet homme, je maudis cet Arès et tout cet endroit, m'énerve-je tout en récurant les latrines, encore une fois.
Une semaine que je me fais lever aux aurores pour nettoyer toute cette merde. Huit jours que je ne côtoie personne si ce n'est cette statue muette en uniforme qui me suit partout comme mon ombre. Je suis là où personne n'est. Ici pas de femme je l'ai bien compris. Je me lève quand ils s'entraînent, je me terre quand ils mangent et sont dans les parties communes. La chambre et le petit patio n'ont plus de secret pour moi. Je deviens folle. Une lionne en cage. Ce n'est pas tant cet isolement qui m'est douloureux. Je ne dors pas la nuit, je rumine, tourne et retourne dans mon lit. Le sommeil m'est difficile à trouver et lorsque les prémices s'annoncent je tombe dans un enfer de coups dans le dos, de lames s'enfonçant dans mes côtes, de cet homme en armure dorée qui joue avec moi au chat et à la souris. Mais qui es-tu ? Que me veux-tu ? Et cet appel du cœur qui me pousse à vouloir y retourner. Cette certitude, qu'une partie des réponses à mes questions se trouvent dans cet endroit abandonné me dévore littéralement. Excédée, je jette la brosse que j'ai en main, prétends avoir besoin d'intimité et fausse compagnie à mon garde du corps. Puis, ce n'est pas à cette heure-ci que je risque de croiser quelqu'un. Il doit être horriblement tôt et je serai bien loin lorsque le garde s'en rendra compte. De toute façon lui même pique du nez. Je ne sais pas ce qu'il a fait pour se retrouver coincé avec moi mais il ne doit pas être d'une grande utilité publique.
J'arpente les couloirs tamisés depuis un moment déjà, si bien que je me demande si je ne tourne pas en rond. Les arcades se ressemblent toutes et la pénombre n'arrange pas cette impression. Je monte, je descend les escaliers. Je ne reconnais rien. De plus, j'ai la désagréable impression d'être suivie mais lorsque que je me retourne les couloirs sont vides. J'ai presque perdu espoir lorsque cette fois-ci, dans un couloir encore semblable aux autres, quelque chose de différent m'interpelle.
Bien avant d'entrevoir c'est mon organe vitale qui se réveille et m'alarme. Les battements qui le secouent m'annoncent que j'approche du but. Au fond du couloir rétréci la douce lumière s'affaiblit pour faire place à la noirceur. Le silence se fait plus oppressant. Mes yeux s'acclimatent progressivement à l'obscurité et mon pied franchit un sol plus incertain.
Il est là, baigné par le flot de lumière argentée qui s'invite à travers le vitrail brisé, l'escalier, royal et mystérieux. Il m'attire, me happe, m'enlève toutes pensées raisonnables, toute autre volonté que celle de l'escalader pour découvrir ce qui se trouve en son sommet. Sous l'œil attentif de l'effigie j'avance, respectueusement, tambour battant. A chaque pas, une vive couleur s'allume. Une traînée de petites fleurs rouges, jaunes, bleues, roses dessinent mon passage. Mes doigts chassent délicatement les lianes sur mon chemin. Une nuée de papillons prennent leur envol illuminant sous un jour nouveau la pièce qui reprend vie. Chaque pas est lourd comme s'il soupesait les conséquences de ce qu'il allait découvrir. A chaque marche, le stress monte, me noue la gorge. Je glisse un regard à hauteur de l'effigie. Son visage s'éclaire au passage d'un papillon et paraît me sourire. Une dernière marche me sépare désormais de ce couloir au fond duquel se cache ce que je viens chercher. J'écarte le rideau de lianes, ultime rempart sur mon chemin. Une dizaine de noctambules multicolores s'élancent vers le plafond. Mais aussi vite qu'ils se sont illuminés, les papillons calcinent et tout autour redevient nuances de gris et blanc. Alors que mes yeux suivent la dernière lueur colorée qui s'éteint, je suis attrapée et mon dos percute violemment les marches de l'escalier que je dévale. Ma tête explose contre une surface dure. Des milliers de points blancs dansent autour de moi. Mon instinct de survie tente de s'activer mais mon corps est endolori et mon cerveau trop faible. Deux mains me soulèvent et me plaquent au mur sous les rires gras de mes assaillants. Mes paupières luttent contre le néant qui m'aspire. Mon impuissance aura raison de mes dernières forces lorsque de sales mains déchirent ma tunique. Mon cri se meurt dans ma gorge. Les mains griffent, prennent, palpent, s'éparpillent. On se colle, se frotte à moi. Mes dernières forces me lâchent. La surface contre laquelle j'abandonne chancelle à son tour. Et soudain dans un grand fracas tout s'arrête. Les mains, les rires, la pression. Je m'écroule retenue par deux bras rigoureux, dans une eau turquoise avant qu'un voile plus sombre ne se jette sur moi.

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Arès
Paranormal« Laissez entrer le passé, ouvrez une parenthèse dans le présent, préparez-vous à écrire votre futur ». Or Thalya a tout oublié. Un traumatisme lui bloque l'accès à ses souvenirs. La nuit, d'étranges rêves ou souvenirs du passé viennent la hanter...