Chapitre 36

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Ma tête explose contre une surface dure. Des milliers de points blancs dansent autour de moi. Mon instinct de survie tente de s'activer mais mon corps est endolori et mon cerveau trop faible. Deux mains me soulèvent et me plaquent au mur sous les rires gras de mes assaillants. Mes paupières luttent contre le néant qui m'aspire. Mon impuissance aura raison de mes dernières forces lorsque de sales mains déchirent ma tunique. Mon cri se meurt dans ma gorge. Les mains griffent, prennent, palpent, s'éparpillent. On se colle, se frotte à moi. Mes dernières forces me lâchent. La surface contre laquelle j'abandonne chancelle à son tour. Et soudain dans un grand fracas tout s'arrête. Les mains, les rires, la pression. Je m'écroule retenue par deux bras rigoureux, dans une eau turquoise avant qu'un voile plus sombre ne se jette sur moi.


La douleur me réveille. Mes yeux s'ouvrent, se referment, se rouvrent, cherchent à comprendre où ils se trouvent. Je suis allongée sur une banquette dure, inconfortable. Au-dessus de moi, une paroi caverneuse, basse, sombre. Je m'y reprends à deux fois pour me lever. Ma tête tourne encore. Des barreaux. Je me redresse prestement. Une cellule ! Je gonfle mes poumons, tâte ma poitrine. Un chiton a remplacé la chemise déchirée. Dois-je en être soulagée ? Que s'est-il passé? Qui me l'a enfilé? Un nouveau coup d'œil circulaire m'informe que je ne suis pas seule. Mes yeux suivent le contour de larges pectoraux, remontent les veines du cou incliné contre la paroi, parcourent la mâchoire carrée, les pommettes hautes et cheveux au châtain assombri par l'obscurité. Ses mains étreignent le banc sur lequel il est assis, ce qui accentue la musculature puissante de ses épaules. Je toussote espérant le faire réagir. En vain. De l'autre côté du couloir, les prisonniers ont l'air en piteux état: yeux violacés, écorchures, plaies ouvertes, bandages sommaires. Les regards que je croise sont assassins, sans équivoque. Mes yeux font des vas-et-viens entre eux, nous. Lui paraît imperturbable comme à son habitude. Nul besoin de se demander pourquoi nous sommes ici, eux là-bas. Je revois ses yeux avant que les miens ne se ferment et la seule question désormais c'est...

- Pourquoi ?

Ses yeux s'ancrent aux miens. Le silence comme bouclier, c'est à se demander si cet homme sait parler. Au lieu de ça il me fixe, immobile, impénétrable. Des coups portés aux barreaux rompent cet échange visuel. Les voix qui me parviennent sont agressives. Je ne comprends toujours pas un traître mot à cette foutue langue mais pour le moment cela me paraît préférable. Des pas cadencés accompagnés de coups métalliques portés au sol font taire ce raffut. Une escouade se poste devant la grille. L'administré s'avance. Toujours aussi formel, il baisse la tête vers son papyrus qui se déplie à mesure qu'il lit. La lecture provoque une réaction en chaîne. Les hommes crient, les grilles tremblent, les poings s'enfoncent dans les murs, certains doigts se tendent dans ma direction. Puis, les pas repartent au même rythme qu'ils sont venus. Aussitôt j'essuie le tir de projectiles, qui atterrissent pour la plupart sur la grille. La montée de haine m'est directement adressée. Je me tourne vers mon compagnon de cellule. A l'instar des autres détenus, Hercule adossé, ferme les yeux, serein.

- Je n'y comprends rien, dis-je tout bas tout en me rasseyant.

- Un soldat doit obéissance et loyauté à sa hiérarchie. Il s'abstient de toute attaque pouvant infliger des dommages au personnel et aux bâtiments militaires. Toutes atteintes au règlement est sévèrement punies. La forteresse abrite des soldats. Il n'y a de place ni aux poids morts ni aux dissidents. Dans sa grande miséricorde le maître vous accorde un dernier combat. Ce soir, vous combattrez pour vos vies, traduit une voix aux accents suaves.

Je me tourne vers les lèvres encore remuantes de Rassan.

- Ainsi il parle, et comprend ma langue, observe-je.

- Les olympiens ne parleront pas la langue vulgaire du peuple d'en bas, ils utilisent celle des dieux, répond-il simplement, les yeux clos.

Le léger accent trahit une origine que je ne parviens pas à identifier.

- Qu'est-ce que tout cela signifie ?

Ses yeux s'ouvrent soudainement, m'observent intensément sans me répondre pour autant. Je me lève agacée, me poste devant lui. Même assis en position d'infériorité, son aura s'impose. Tout son corps transpire la force sans qu'il ait besoin de bouger.

- Allez-vous m'expliquer, lui demande-je en pressant son biceps.

Brusquement coincée entre la paroi et un torse d'acier je peine à respirer. Son menton frôle le mien, ses yeux m'électrisent. Son souffle bloque ma respiration. Mes yeux affichent une lueur déterminée à obtenir des réponses.

- Que pourrais-je dire que tu n'as déjà pas compris toi même? souffle-t-il sur mes lèvres. Ta conduite nous conduit à une mort certaine ce soir.

- Personne ne t'obligeait à t'y rendre toi aussi, attaque-je pour me défendre sachant pertinemment que j'étais injuste.

Pour toute réponse: le même regard, intense. Le rouge me monte aux joues, à moins que ce ne soit la honte ou ce souffle sur mes joues. Je le sais, je lui dois la reconnaissance. Sans son intervention je n'ose imaginer dans quel état je me trouverai.

- Merci, murmure-je à peine audible.

Nos yeux se suivent, se cherchent. Soudain, il se détourne et la pression sur mon torse se relâche. Je retrouve ma respiration.

- Et maintenant ? Je ne peux m'empêcher de demander. Mes yeux passent de la cellule voisine à mon codétenu qui se rassoit. Les bras croisés derrière la nuque, paupières fermées, il affiche une nonchalance singulière.

- Tha máthoume arketá sýntoma. Exoikonomíste ti dýnamí sas, an elpízete na epiviósete, marmonne-t-il entre ses lèvres.

La sentence est tombée. Comme si cette captivité parmi les vauriens et ce mercenaire ne suffisait pas à condamner mon infraction. Accroupie au fond de la cellule je ressasse tout le chemin parcouru pour en arriver là. Toute cette histoire n'a ni queue ni tête. Suivre un inconnu pour espérer obtenir des réponses, parce que j'étais soit disant « en danger ». Risible. Je vais précisément y laisser la vie. Je repense à mes amis là-bas. Ils me manquent. Ma routine me manque, ma maison...Ma maison...Dans quel état l'ai-je laissée ? Les images de cette nuit horrible me reviennent. Même si j'y retournais, plus rien ne serait comme avant. Jamais je n'oublierai. Un mouvement furtif attire mon attention. Dans les mains tendues d'Hercule: un baluchon. Le mien m'arrive en pleine face. Je baisse la tête sur un morceau de cuir. Je le triture, sans savoir par quel bout le prendre. Puis je finis par dissocier la jupe des deux moules à seins. Du bout des doigts je repousse la chose avec dégoût.

- Qu'est-ce que.... ? Merde ! Je détourne aussi vite les yeux.

Hercule remonte sa jupe sur des fesses aussi musclées que le reste de son corps. Loin de moi l'idée de jouer les voyeuses mais l'image quitte difficilement mon esprit. Vraiment fermes... D'un signe de tête il m'interroge sur la tenue dans mes mains.

- Pas question !

De l'autre côté les hommes revêtissent l'uniforme du parfait gladiateur. Il n'est pas question que je me change devant ces ignobles individus. Soudain un mur de muscles s'interpose entre eux et moi. Il m'assure protection contre le regards indiscrets. Je ferme les yeux un instant pour me donner du courage et prier pour que les siens restent clos. Dos à lui je me baisse, enfile la jupe sous la tunique. Pour le haut malheureusement je n'ai pas d'autre choix que de me mettre à nue pour enfiler le plastron. Dans la précipitation pour l'enfiler et m'exposer le moins possible je me coince dedans. Rouge de honte et bloquée les bras en l'air, je me tortille dans tous les sens pour le faire descendre. Soudain, le temps s'arrête. Une série de frissons me parcourent tandis qu'un souffle chaud effleure mon épine dorsale. Mes poils se hérissent. Mes sens se mettent en alerte. Le souffle termine sa course, en une douce caresse sur ma nuque.




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