Partie 29

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Je ne sais depuis combien de temps je suis assise là, sur le lit, perdue dans tout ce flux de questions et de ressentiments. Arès comme le dieu de la guerre? Arès comme mon sujet d'écrit?Arès comme le dieu de l'Olympe où je suis censée être en ce moment. Moi qui comparais son corps à celui d'Apollon l'ironie de la situation! Un dieu! Non mais, je déraille. Ça n'existe pas les dieux. C'est simplement une énorme coïncidence si je me retrouve en Olympe avec un type qui prétend s'appeler Arès, ou bien c'est une farce ? Une farce, c'est ça ! Il se paie ma tête et doit bien rire à l'heure qu'il est. Et pourtant quelque part au fond de moi, quelques pièces du puzzle commencent à s'assembler, réfutant les arguments rationnels que mon cerveau tente de trouver. Les cauchemars, les combats, l'armure spartiate, cette fascination pour la mythologie grecque, le thème de mon dossier, la magnificence des paysages et du ciel infini, ces créatures affreuses... Comment puis-je me trouver associée à cet homme...un homme ? « Maître ». Plusieurs personnes l'avaient appelées ainsi. Les morceaux s'emboitent malgré moi et m'obligent à affronter cette vérité. La valise dans l'angle de la chambre me fait de l'œil. Là, se trouve sans doute la vérité que mon cerveau refuse d'admettre. Je me redresse, et si...? Je ne peux tout de même pas...? Un bruit sourd suivi d'une série de cris explosent ma bulle de réflexions. Des pas précipités ainsi qu'une suite d'objets se fracassant dans le couloir ont raison de ma promesse faite à Arès, ne pas sortir de cette chambre. Ni une, ni deux, je bondis sur la porte, manque de tomber à la renverse par la horde de clients se bousculant dans le couloir tels des animaux en danger. Un nouvel hurlement suivi d'un rugissement attire mon attention. Dans le fond du couloir, deux cornes bouclées ainsi qu'un dos massif recouvert d'une armure argentée me narguent. Un énorme biceps soulève dans les airs un petit garçon au teint blême. Au sol, sa mère pousse des cris perdus. Je saisis vite la première chose qui me passe sous la main. Un chandelier constitue mon arme de fortune. Il s'abat sans succès sur le crâne bovin. Le corps du gamin s'affale soudainement sur sa mère qui l'arrache au monstre et l'entraîne déjà bien loin. Les deux épaules devant moi se soulèvent très lentement après une puissante inspiration. Le torse massif se tourne vers moi. La tête bovine qui repose au sommet de ce corps humain me fixe lentement, savourant sa nouvelle proie. Ses yeux se délectent de leur cible. Des flammes viennent lécher ses pupilles. Elle se tourne totalement, fait grincer la lame en acier de son marteau sur les murs, déplient ses jambes lentement, comme si elle voulait s'amuser avant d'attaquer. Puis, soudain, elle fond sur moi. Je glisse sous ses jambes. Un cri monstrueux rugit de ses entrailles. Des flammes s'échappent à nouveau de ses orifices. La masse s'abat furieusement de toute part, me forçant à reculer. Le sol vibre sous ses pas lourds. Je recule jusqu'à être prise au piège, au bout du couloir. Ses cornes aiguisées s'élancent droit sur moi. In-extrémis, je roule sur le côté du mur. La bête s'encorne de plein fouet dans le placo qu'elle n'a le temps d'esquiver. Sans me retourner, je dévale les escaliers, espérant trouver plus bas, dans la salle à manger de quoi me protéger. Nouveau tremblement de terre sous mes pieds. Mon cœur, à moins que ce ne soit mes oreilles bourdonnent m'assourdissant face au danger imminent. Soudain, je me sens chuter en avant, tête la première dans les escaliers, avant qu'un liquide chaud suivi d'une terrible brûlure ne déchirent mon dos. Le monstre plonge sur moi, torse bombé, masse enl'air.

-Attrapez ça, me hurle une voix grave.

Je tourne la tête dans sa direction. Le hipster me jette un énorme couteau de boucher. Ma main trouve le manche et abat l'arme dans lecou au-dessus de moi. La créature s'effondre, inerte.

Une main vigoureuse me hisse de là. J'époussette les vêtements avant de me rendre compte que je suis si peu couverte. L'homme n'y prête attention, désolé d'observer tous les dégâts dans son auberge. Dehors, les gonds de la cloche martèlent la nuit. Les sifflements des fusées enfument la voûte céleste d'une couleur rouge sang.

-L'alerte est donnée, la garde ne devrait plus tarder. Tous les hommes vaillants sont sur le front. Un siècle qu'il n'y avait rien eu, se désole l'homme. Il y a la réserve en bas, enfermez-vous, vous y serez en sécurité. Je vais leur donner un coup de main.

Sans perdre d'avantage de temps, il s'enfuit dans la nuit, par ce qui fut la porte d'entrée.


Je n'ai jamais été lâche bien que je ne pense jamais avoir eu l'occasion de prouver ma bravoure. Alors je ne sais pas si c'est mon orgueil ou une montée d'adrénaline mais je suis incapable de rester ici à attendre que l'orage passe. Après avoir remonté quatre à quatre les escaliers, enfilé une tenue adéquate, je trouve en guise de décoration une sorte d'arbalète. Je n'ai aucune idée de la manière dont m'en servir, mais j'ai espoir qu'en temps voulu mon instinct saura m'être utile. Je récupère au passage le couteau qui m'a sauvé la vie et je m'engouffre à mon tour dans les ruelles faiblement éclairées. Dehors, des hommes grassouillets et barbus accourent avec des fourches, des pelles et des couteaux. Des cris inhumains, en provenance du cœur de ville me glacent le sang. Le cœur battant, je me mets à courir, dans la même direction. Plus je cours, plus mes battements de cœur me donnent l'énergie d'aller au devant du danger. Je longe tous les bâtiments, pressentant la menace omniprésente. Guidée par ces hurlements atroces, je cours de plus en plus vite, dépassant les hommes. Une odeur de souffre s'engouffre peu à peu dans macage thoracique. Bientôt je déboule dans une immense agora, ou devrais-je dire champ de bataille. Une épaisse fumée noire s'échappe des maisons déjà en ruines. Des familles fuient. Des têtes décapitées tombent ausol. C'est l'enfer partout où se posent mes yeux. Des hommes tentent de maîtriser le feu avant qu'il ne ravage toutes les habitations tandis que les soldats mènent une lutte acharnée. Hélas, les armes semblent rebondir sur les armures impénétrables et les victimes se multiplient. Mon cœur se serre face à toute cette horreur. Je sens un attroupement se stopper net derrière moi apeuré par la scène qui se joue devant eux. Plus loin, deux hommes sont soulevés de terre embrochés par les cornes. Soldats et hommes robustes encerclent une autre créature. Les lances et les épées alternent les mouvements, tentant de percer ses défenses mais elles ne les trouvent pas. Ils vont se faire massacrer. Une pluie de flèches provenant des tours, s'abat sur les assaillants mais ne les atteignent pas, leurs carapaces sont indestructibles.

« Le minotaure était un monstre fabuleux au corps d'homme et à la tête de taureau. Il dévorait régulièrement sept femmes et sept hommes ». Les paroles de Monsieur Bertho, professeur de civilisation ancienne se rappellent à mon souvenir et me glacent le sang tandis qu'une créature soulève un gamin. A leurs pieds, un cou déchiqueté baigne dans une marre de sang. Le mien ne fait qu'un tour et je me jette en avant, droit sur lui. L'arbalète crache une première lance qui effleure son cou. Juste suffisant pour détourner son attention. L'enfant valse dans les airs, pour s'écraser plus loin. Cornes en avant, cuisses et épaules fléchies, dos courbé, la bête me charge. Yeux dans les yeux, nous nous élançons l'un sur l'autre. A deux pas de l'impact je m'abaisse sous les cornes et plante mon couteau de boucher dans sa jugulaire. Une corne m'érafle l'épaule, puis la bête s'effondre inerte. Un cri de joie collectif s'élève derrière moi, redonnant confiance à tous ceux restés en retrait.

-Visez le cou! entends-je scander.

Un élan offensif s'empare des courageux. Les assauts reprennent de plus belle. Cette fois-ci quelques bêtes tombent à terre, tout comme les blessés. Au dessus de nos têtes le ciel se teinte de lourds nuages gris qui se confondent, s'enroulent tel un serpent. Le ciel s'obscurcit totalement. Un premier coup de tonnerre retentit ébranlant tous les corps qui stoppent les affrontements. Fraction de secondes pendant laquelle chacun peut pressentir que quelque chose de terrible va se produire. Mes poils se hérissent, mon dos se crispe. Un premier éclair foudroie l'agora, illuminant le combat qui se joue en arrière plan et auquel personne n'a prêté attention jusque là. Au centre d'une immense temple grec, à travers les colonnes antiques qui viennent se fondre dans les nuages, deux machines de guerre s'entretuent.


ArèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant