Je n'ai pas attendu la répartie de mon cauchemar vivant. Mettre le plus de kilomètres possibles entre l'homme et moi était la seule option.Après avoir couru comme une dératée pendant vingt minutes en bottines, je ralentis le pas de course et reprends mon souffle. Je regrette d'avoir tant bu ce soir. L'air frais remue mon estomac bien chargé en alcool. La tête me tourne. Je prends appui contre un arbre. Le raz de marée me submerge. Je me vide entièrement contre une poubelle. Je me redresse et essuie les gouttes qui perlent sur mon front. Soudain, une voix criarde perce mon oreille.
-Un peu d'aide mademoiselle ?
Je tourne la tête. Sur ma droite: une ruelle sombre et déserte. Sur ma gauche: trois jeunes filles aux visages creux, yeux exorbités et nez pointus. Des allumettes à la place des jambes, des cures dents en guise de bras. Leur maigreur est terrifiante. Et malgré l'austérité de leurs vêtements noirs, un détail me surprend. Des ongles ou plutôt des griffes carmins longs et aiguisés. Elles semblent si fragiles et si démunies, je me demande ce qu'elles font dans un endroit pareil.
-ça n'a pas l'air d'aller fort, poursuit une deuxième voix nasillarde.
-Ce n'est pas raisonnable de rester seule dans les parages. L'endroit n'est pas sûr. On pourrait y faire de drôles de rencontres. D'après les journaux les agressions se multiplient près d'ici. A quatre cela sera moins risqué. Si nous rentrions ensemble ? propose une troisième voix nasale qui glisse sa main sous mon bras. Par où alliez-vous ?
-Je pensais prendre ce raccourci et contourner les entrepôts, je réponds face à tant de gentillesse.
Elles n'ont pas tout à fait tord, me dis-je. Aujourd'hui, on ne peut plus faire confiance en personne. Pour un rien les gens se font agresser. Un peu plus confiantes, nous empruntons la venelle faiblement éclairée. Si je n'étais pas accompagnée je me serais sûrement alarmée en percevant, comme dans les mauvais films, une bouteille de verre rouler sur les pavés. Le silence n'est pas des plus rassurants. Si j'en crois la main qui serre de plus en plus mon bras, je ne suis pas la seule à m'effrayer. A mesure que nous progressons une sensation de malaise m'envahit.Oreilles aux aguets, yeux grands ouverts. Un sifflement dans mes oreilles déclenche mon alarme interne. Je me retrouve enserrée lorsqu'une deuxième main agrippe mon bras vacant. N'ayant jamais été très tactile je trouve vite cette situation oppressante. Ce pressentiment s'intensifie à mesure que les prises sur mes bras s'accentuent. J'ai même l'impression de sentir les griffes sur ma peau. Je décide de faire mine de refaire le lacet de ma bottine afin de dégager ces bras étouffants. Il leur faut un instant pour comprendre que je me penche et relâcher la pression. A l'instant même ou je me baisse je sens une ombre se lever sur moi. Je fais un bon. Mon dos esquive un coup de coude. Jambes fléchies, poings serrés, j'analyse rapidement la situation.
Les jeunes filles innocentes ont disparu pour laisser place à trois êtres métamorphosés. Pupilles banches, teint blafard, omoplates rentrées, têtes qui se penchent de droite à gauche dans une position d'attaque. Le moindre de mes mouvements est décrypté.Elles m'encerclent, prêtes à bondir. L'une se tient face à moi. La deuxième est perchée sur une poubelle à ma droite et la dernière me guette sur la gauche. Seuls les battements de mon cœur résonnent dans ce silence assourdissant. Chacune guette le premier assaut. Et soudain la garce perchée fond sur moi, bras tendu en arrière. Je l'esquive et me retrouve face à une autre. Ses griffes fendent l'air en tentant de me saigner. Un poids s'abat dans mon dos. Je bascule en avant, le faisant chuter. J'esquive une attaque, en pare une seconde à ma droite. Sur mes gardes, épaules de biais,jambes fléchies, je fixe l'agresseur droit devant moi, oreilles à l'affût du moindre mouvement latéral. Celle sur ma droite bondit.Coup de coude dans le visage, dans le sternum. K.o technique. Je maintiens une bonne distance pour réagir à la prochaine attaque.Mes deux adversaires se sourient mesquinement dévoilant une rangée de dents aussi longues que des canines. Une froissement dorsal m'alerte et je découvre des membranes ailées surgissant de leurs dos. Mon instinct de survie prend le dessus. L'alcool a déserté tout mon être. Je sais que je ne rêve pas, qu'il faut sauver ma vie. Un hurlement déchire la nuit: le mien. J'ignore d'où me vient cette hargne mais une poussée d'adrénaline me ragaillardit. Dans un battement d'ailes, les deux monstres chargent. N'ayant aucune arme, à part mon courage je dois ruser. Je les laisse foncer droit sur moi.Au dernier moment, je me baisse, me retrouve de dos face à l'une d'elle. Je saisis une aile, la tire en arrière jusqu'à sentir l'os se briser. La bête hurle, ses griffes frôlent mon visage. La seconde m'attrape, un bras sous la gorge. Je sens le sol se dérober sous mes pieds. La douleur me déchire les entrailles lorsque la première me lacère le flan. Je mords le bras qui me retient et chute violemment au sol. Mon dos meurtri roule, esquive les coups d'ailes, et les griffes. Je n'en ai pas fini. Mes doigts trouvent à tâtons la bouteille de verre que j'ai entendu rouler. Comme dans les films, je la brise au sol pour en faire une arme et l'abat sur le visage proche de la créature volante. Ses griffes couvrent son visage et ses hurlements. Je me relève. Un coup dans le ventre m'éjecte contre le mur. Ma vision se brouille. Mes flancs me dévastent. Mes forces diminuent et la phrase de Cali tourne en boucle dans ma tête. « J'espère qu'en cas d'urgences, il vous reste quelques réflexes. ». Un nouveau coup m'arrache un cri. Je me sens soulevée par la gorge contre le mur.
-petite merde ! Siffle-t-elle.
Les larmes me montent aux yeux devant ce déchirement intenable et l'issue de ce combat.
Elle lève à nouveau son arme meurtrière pour l'abattre sur mon visage.Soudain, je ne comprends plus ce qui m'arrive, je m'écroule au sol.Je relève difficilement la tête pour la voir se débattre avec le poignard qui la cloue au mur. L'autre furie joint son hurlement au sien avant d'accourir. Tandis que la douleur m'arrache les tripes, ma vision se brouille de plus en plus. Une silhouette apparaît dans mon champ de vision. Je veux lui crier de fuir mais je n'en ai plus la force. Un cri déchire la nuit alors que deux bras tombent au sol,décapités. Les ailes se débattent frénétiquement. Aussi vive quel'éclair, une main fond sur son cœur qu'elle arrache. L'autre rapace extirpe son aile blessée du poignard, s'élance sur la dernière à terre. Les points noirs se multiplient partout autour de moi. Un froissement d'ailes qui s'envolent, mes forces qui me quittent...Je me sens à nouveau soulever. Le cauchemar continue ou prend fin. Je lève une dernière fois la tête. Deux yeux tempêtes sont la dernière chose que je vois avant de sombrer dans le néant.

VOUS LISEZ
Arès
Fantastique« Laissez entrer le passé, ouvrez une parenthèse dans le présent, préparez-vous à écrire votre futur ». Or Thalya a tout oublié. Un traumatisme lui bloque l'accès à ses souvenirs. La nuit, d'étranges rêves ou souvenirs du passé viennent la hanter...