7 - SOFIA

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La cloche de la boutique résonne et je prends soudain conscience que je m'étais endormie. On est seulement en milieu de mâtiné, la journée s'annonce longue. Je baille et me redresse : j'étais carrément avachie sur le comptoir.

La cliente à l'air de savoir ce qu'elle veut alors je la laisse faire un tour avant de l'interpeller. En général les gens détestent qu'on leur saute dessus direct et je les comprends assez facilement. Pendant que la dame continue de tourner dans la pièce où l'espace est limité, je saisis mon téléphone. Instagram est ma distraction préférée et une bouffée de plaisir m'envahit lorsque je lance l'application.

Faut vraiment que je décroche.

Immédiatement une photo de Barack s'affiche dans mon fil d'actualité. Je le fais défiler et à peine quelques publications plus tard sa grosse tête réapparaît. Je ne sais pas qui est en tord. Est ce l'algorithme d'insta qui est fautif ou le grand black ? Un peu des deux sûrement. D'un côté, le rwandais est encore plus actif sur la plateforme qu'une influenceuse beauté au million d'abonnés. Mais de l'autre, je suis tellement d'autres individus que ça devrait diluer le flux de ses publications incessantes.

J'appuie mon menton sur ma main, mon coude sur le comptoir. Après quelques story visionnées, je me lasse et pose mon portable sur le meuble. Il semble que j'ai eu comme un pressentiment car c'est le moment que choisit la cliente pour se faire remarquer. À priori, je la salue avec beaucoup trop d'enthousiasme car elle rit légèrement.

- Bonjour, j'aimerai bien un gros bouquet d'amaryllis.

Pas de soucis, j'acquiesce et m'attèle doucement à ma nouvelle tâche.

- Je peux rajouter du feuillage dans la composition ? Ça sera plus aéré.

- Si c'est plus esthétique allez-y bien sûr.

Je lui souris sincèrement en attrapant les végétaux. Cette dame a eu aura très particulière, elle dégage une sympathie très agréable. Avec des gestes automatiques, j'emballe le tout dans du papier coloré - du gris pâle cette fois, très léger - puis dans une feuille plastique.

- C'est pour le plaisir d'offrir ?

Après avoir reçu une réponse positive, j'attrape le petit stickers et le colle. La touche finale, un joli ruban, puis quelques coup d'agrafeuse plus tard et le tout est fini.

- Ça fera trente euros s'il vous plaît.

La cliente insère sa carte bancaire dans le boîtier, un air satisfait ne quitte pas son visage.

- Il est vraiment magnifique votre bouquet mademoiselle. Vous avez un don je crois.

Elle désigne toute la boutique de la main comme pour me faire prendre conscience de mon travail. Face au compliment, je rougis. Ce genre de mots me touchent beaucoup plus que je ne veux l'avouer.

- Vous devriez créer un compte pour la boutique.

Son doigt montre mon téléphone, l'application Instagram toujours active. Je comprends où elle veut en venir mais je crois que cette option n'est pas pour moi. Les réseaux je les utilise pour stalker, pas pour m'afficher.

- Oh c'est beaucoup de travail, je dis.

- Réfléchissez y, ça pourrait faire grimper vos ventes.

Je lui promets que j'y penserai et lui tend son article. Elle passe le palier et me voilà de nouveau seule dans le magasin. J'inspire un grand coup, j'adore l'odeur des fleurs. C'est toute ma vie. Même bien plus que ça.

Je profite du calme ambiant pour m'enfermer dans l'arrière boutique et grignoter. Je le sais : c'est mal. Sauf que c'est plus fort que moi. De plus, avoir sur la rue d'en face une boulangerie tenue pas sa tante n'aide pas vraiment. Tous les matins, elle vient m'apporter un petit quelque chose. Elle pense même à ramener une viennoiserie pour Barack quand il est présent. Aujourd'hui, j'ai l'honneur de savourer un brownie.

Je ferme les yeux. C'est la meilleure pâtissière au monde.

À nouveau, la sonnette se fait entendre et je grogne frustration. À regret, je repose mon encas et réapparaît dans la pièce principale.

- Ah c'est que toi.

- Merci pour l'accueil meuf.

Je lui tire la langue et récupère ma bouffe. Devant Barack on peut tout faire, alors j'en profite pour finir ce que j'avais commencé avant que ce parasite vienne m'interrompre.

- Fait pas ta radine, partage.

- C'est pas bon pour toi bébé, surtout après le repas d'hier soir.

Il hausse un sourcil et sa bouche esquisse un "va te faire foutre" silencieux. Vivement que les cours reprennent, j'aurais plus à subir la présence constante du rwandais. Contrairement à moi qui ait mon entreprise, le black lui est encore dans les études. Monsieur est élève dans une grande école de commerce parisienne. Je vous jure que depuis qu'il a été admis il y a maintenant cinq ans il passe sa vie à se venter.

Je termine d'avaler une bouchée de la préparation au chocolat et désigne mon portable.

- Tu veux encore faire des recherche sur les rats ?, il se moque.

- T'es con.

- Je sais pas.

Je secoue la tête en riant, il est vraiment con. Je lui fait signe d'approcher et forcément cette tâche s'assoit sur le comptoir. Je vais le tuer je vous jure. J'essaie de le pousser mais le grand black est beaucoup trop lourd pour moi.

- Une dame m'a dit de créer un insta pour la boutique. T'en penses quoi ?

- Tu me demande indirectement d'être ton community manager ?

- Répond pas à mes questions par des questions frère, sinon on va pas s'en sortir.

À la place de répondre, Barack se munit de mon portable. Sans même me consulter, il décide du nom de la page et commence à prendre quelques photos. J'ai rien à redire, je lui fait confiance. Il gère sur ce plan là. Sans prévenir, il se retourne vers moi et enclenche l'appareil. Bien évidemment, je ressemble à rien sur ce cliché alors je grogne.

- Faut bien présenter la fleuriste bébé.

- Mais j'ai les yeux à moitié fermés sur la photo ! C'est pas commercial ça.

Il hausse les épaules et publie quand même. Jamais il l'écoute celui là.

- Tu t'en fous c'est moi ton égérie.

- Depuis quand mec ?

- Depuis la naissance de Beyoncé.

Faut vraiment qu'il arrête de faire une fixette sur cette femme. À force c'en est flippant.

- Pousse toi bébé, j'ai un client je crois.

Et effectivement j'ai vu juste car la porte s'ouvre.

D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant