35 - SOFIA

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Aujourd'hui c'est la première fois que j'emmène Lomepal au travail et j'avoue que je suis stressée de ouf. Comme une vraie maman... Après avoir vérifié trois fois que la cage de transport du chat est correctement fermée, je m'apprête à partir de l'appart.

- Tu penses que je dois mettre un cadenas sur la serrure ?

- Abuse pas ma chérie.

Mamita me fixe comme si j'étais folle mais je vous jure que mon esprit est en bonne santé. J'ai juste peur pour mon petit protégé et c'est normal. Elle fait pareil avec moi.

- Tu peux nous prendre en photo ?

- C'est du n'importe quoi.

- C'est son premier jour !

Ma grand-mère rumine mais saisit tout de même le téléphone que je lui tends. Je souris, tiens fermement la caisse et attends. Sauf que vu que la doyenne de cette maison est aussi douée avec les appareils électroniques que je le suis avec un eyeliner le moment s'éternise. Je commence à faiblir : ça fait mal aux coins de ma bouche.

- Dépêche, je tente d'articuler.

- Ca fonctionne pas.

- T'as appuyé sur le bouton au moins ?

- Quel bouton ?

Je vous jure elle me fatigue. J'avais oublié qu'il fallait lui faire un tuto spécial sur comment prendre une photo avec un Iphone quand on est dépassée. En plus de ça l'heure d'ouverture de la boutique approche et au vu de la vitesse à laquelle le temps s'écoule ce matin je sais déjà que je vais arriver à la bourre. Au final Mamita fait plusieurs essais et, au bout d'un temps qui me paraît interminable, le cliché est enfin bon.

Ou disons plutôt : correct.

- Je file.

- A ce soir ma chérie.

- Essaie de pas passer trop de temps devant la télé.

J'ai beau lui répéter encore et encore que les écrans ça ramollit le cerveau, elle n'écoute rien. Après tout quand on passe la barre des soixante-dix ans j'imagine qu'on s'en fout un peu de tout mais c'est pas un prétexte pour s'esquinter.

Je cours presque pour atteindre le métro et dévale les escaliers à toute vitesse ce qui me vaut un miaulement de la part du petit nouveau. On a de la chance ce matin car la rame n'est pas bondée contrairement à d'habitude. Même si le quinzième arrondissement est le plus grand de la capitale, je l'aime énormément. Les quartiers sont assez calme et les commerçants s'entendent en général plutôt bien entre eux, ça donne une ambiance conviviale que j'adore.

Assez vite j'arrive dans ma rue et après avoir flippé une bonne demie seconde - encore une histoire de clef - j'ouvre la boutique pile à l'heure.

- Aller mon grand, c'est ton second foyer.

Lentement je pose la caisse sur le sol et déverrouille le mécanise qui permet à la porte de s'ouvrir. Si mon félin met autant de temps à prendre connaissance du lieu qu'il n'en a eu besoin pour visiter la maison, je peux vous jurer que ce n'est pas aujourd'hui que le rat crèvera. Néanmoins, c'est toute attendrie que j'observe Lomepal prendre ses marques.

Je suis fière de mon bébé à moi.

Il grimpe partout et je me demande si je ferais pas mieux de l'enfermer dans l'arrière boutique. Après tout c'est une première fois et un peu de contrôle ne serait pas du luxe. Je pense toujours qu'il faut procéder par étape mais seulement j'avoue que sur ce coup-ci j'ai peut être légèrement précipité les choses.

Je devrais peut être le ramener à la maison avant qu'il arrive une merde.

Raté sur ce coup car la cloche résonne et croyez moi j'ai du mal à y croire tellement c'est rare qu'un client vienne aussi tôt. C'est un couple qui - d'après les bribes de conversations que je perçois - cherchent un bouquet de lys pour leur fille. Ils ont l'air de se débrouiller très bien tout seuls alors je me contente de patienter, postée derrière ma caisse comme à l'accoutumée, et d'un œil je continue à surveiller mon chat.

J'apprécie vraiment de devoir conseiller les gens mais il arrive que parfois ce soit lourd. Par exemple si la personne ne sait pas ce qu'elle veut il faut redoubler d'inventivité. Or c'est pas toujours évident dès le matin, surtout quand on est pas très réveillée.

Les parents s'approchent finalement assez vite du comptoir et je les encaisse. Ils ont choisit une jolie composition : c'est l'assortiment Roméo. C'est un ensemble plutôt rose pâle visuellement même si il contient quelques touches de vert par endroit - comme toujours. Je l'aime beaucoup avec ses lys accompagné de quelques boutons de roses encore fermés.

Ils finissent par partir alors je file de l'autre coté, dans la petite pièce exigüe. Pas le choix il faut encore que je bosse sur de nouveaux concepts pour espérer attirer un public différent été en ce moment je tente des mélanges assez osés et bien colorés. Sur ce coup je sors entièrement de ma zone de confort, vous le savez mon style est beaucoup plus classique d'ordinaire.

Soudain un gros splash parvient à mes oreilles et il ne fait aucun doute que je connais l'auteur de cette connerie. Je vous laisse deviner mais je vous donne tout de même un indice : c'est une boule de poil.

- Lomepal !

Je me dirige vers le lieu du crime et mon cœur se brise en autant de morceaux qu'il y a de débris de verre au sol. C'est pas possible je venais juste d'acheter ce vase, c'était la dernière trouvaille qu'on avait fait avec Barack lors de la brocante. Ce chat est un diable et je ne me suis même pas méfiée : j'avais peur pour lui, j'aurais dû avoir peur pour eux.

J'essaie autant que je le peux de sauver les fleurs contenues auparavant dans le pot mais impuissante je constate que les bleuets sont pratiquement tous morts : les pétales sont abimés, c'est invendable maintenant. Lorsque je les dépose sur mon comptoir j'en profite pour me munir d'une pelle ainsi que d'une balayette. Faut nettoyer les dégâts et c'est pas le chat qui va s'y coller.

A quatre pattes je rassemble tous les bouts qui, forcément, sont minuscules et vu mon karma de merde c'est le moment que choisit quelqu'un pour rentrer. Heureusement l'odeur de chocolat me rassure.

- Dans deux minutes je suis à toi tatie.

- Je veux bien que tu m'appartienne mais ça fonctionne même si je suis pas boulanger ?

Cette voix masculine, je la reconnais. Je n'ai pas besoin de me relever, je sais qui vient d'entrer à la boutique et automatiquement mes joues rougissent.

Pourquoi ça n'arrive qu'à moi ?


D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant