92 - SOFIA

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- Une dernière pour la route, ça vous dit ?

La seule réponse de la foule suffit à me crever les deux tympans. Bon en vrai ça me fait plaisir, je ne vais pas vous mentir plus longtemps. Voir Enzo autant dans son élément me réchauffe le cœur : c'est la première fois que je l'entends rapper en live, la première fois qu'il me laisse autant entrer dans son univers.

Et je tombe encore un peu plus amoureuse de lui.

- Alors celle là elle est spéciale, vous allez voir. C'est un son que j'ai écrit spécialement pour la femme de ma vie.

Je ne fais même pas attention à la cinquantaine de jeunes qui sifflent d'admiration. Non, la seule chose que je ressens c'est le regard du brun planté dans le mien et c'est tellement intense que j'en oublie presque comment respirer.

Bien évidemment, Enzo n'a pas cité mon nom - il n'est pas du genre à exposer sa vie privée il me semble - mais à cet instant j'ai comme l'impression que tout le monde comprends, or c'est impossible : je suis largement entourée. Je vais pas vous mentir, j'ai jamais autant rougit qu'à cet instant et égoïstement je suis fière : fière que ce mec qui lâche toute son énergie au micro m'appartienne. C'est ça le but d'une relation : livrer son âme à l'autre, sans penser aux conséquences.

Maintenant je m'autorise à le formuler en pensée : j'ai perdu mon âme ce soir.

Le morceau commence et les larmes menacent de me submerger : personne n'a jamais eu une attention aussi forte pour moi. Personne ne m'a jamais écrit de chanson.

Jusqu'à Lui.

Mes jambes flageolent et je doute savoir encore comment vivre dorénavant. Est ce que j'en fais trop ? Oui probablement, mais je m'en fous. Plus les couplets s'enchainent et plus je sens que le contrôle m'échappe, mon cœur bat plus fort et je réalise enfin :

T'es amoureuse, Sofia. Voilà ce que Mamita me dirait.

Bizarrement je me sens soulagée, comme si je connaissais la vérité sur mes sentiments depuis toujours mais que je me voilais la face. Pour la première fois de ma vie je me sens différente, presque courageuse et bordel, ça fait du bien.

- Frère, faut que je dise à Enzo que je l'aime.

- T'es sûre ? Tout de suite là ?

Je hoche la tête, j'ai mal à la poitrine et ma bouche salive tellement c'en est douloureux. Je me suis cachée pendant trop longtemps alors maintenant faut que je me révèle à Enzo, avant qu'il disparaisse.

- Genre ça peut pas attendre ?

- Genre ça peut pas attendre Barack.

Un regard suffit pour le black comprenne : j'ai trouvé l'homme de ma vie. L'intensité de ce que je ressens pour Enzo n'est même pas nommable et j'ai bien peur d'en perdre la raison, mais je suis prête à tout lui donner.

Je sais qu'Enzo est censé aller dans l'arrière boutique à la fin du showcase, on a mis ça en place pour éviter que le public ne squatte dans la boutique trop longuement. Le but de cette soirée était quand même de vendre des fleurs. D'ailleurs je dois avouer que ça à plutôt bien fonctionné et ça c'est grâce à l'idée d'Emilie : l'accès au concert se payait avec une rose. Résultat mon stock de fleurs est épuisé mais ma caisse est remplie.

Je ne connaissais absolument pas la petite sœur du brun avant aujourd'hui mais je me suis attachée à elle plus vite qu'à quiconque. Il y a un truc en elle comme une étincelle et une fois que cette lumière entre en toi t'as plus jamais envie qu'elle parte. C'est de cette façon que je perçoit Emilie, comme une étoile, une constellation.

J'ai l'impression d'être beaucoup trop sensible ce soir.

- Je vais l'attendre derrière je pense, vous pourrez nous laisser seuls un peu ?

Le rwandais acquiesce, de toute façon il n'a pas le choix. Je commence à passer la petite porte de la réserve et au passage je souris à Emilie. Elle était en charge de la caisse et je dois dire que pour une première fois elle assure.

- Tu sais, il sourit beaucoup plus souvent de puis qu'il te connaît. Il est heureux ça se voit. Et toi aussi je crois.

Le regard pétillant de la benjamine est contagieux et bientôt je me retrouve à la prendre dans mes bras. Ce geste m'étonne moi-même, c'est pas mon genre. Mais les choses se passent comme ça avec Emilie : on agit spontanément quand elle est dans les parages.

- Tu pourras toujours compter sur moi, tu sais.

Entre deux mèches de cheveux bleus, le regard de cette jeune femme se voile de tristesse et j'ai peur d'avoir dit une immense connerie. C'est seulement au bout de longues secondes que la commissure de ses lèvres se relève joyeusement.

Un jour elle m'expliquera, il lui faut encore du temps.

- Bon, alors vous allez ken quand ? Nan parce que là ça commence à faire quand même !

Malgré ma gène, je n'arrive pas à retenir mon rire. Barack m'a fait exactement la même réflexion il n'y a pas si longtemps. Alors pour seule réponse, je me permets un clin d'œil. Je ne suis pas aussi franche qu'elle pour avouer que j'ai pas mal d'idées derrière la tête pour les prochaines heures à venir.

C'est secret.


D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant