14 - ENZO

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- Bonjour monsieur, ça vous gêne si je prends quelques photos ?

Le personne, flattée, accepte bien évidemment alors je me met en retrait pour laisser de l'espace à ma sœur. On a fini par le trouver ce putain de stand de vinyle. Je vous raconte pas depuis combien de temps on est là, c'est inutile. Après avoir quasiment dévalisé le vendeur, Em s'est mis l'idée en tête de garder des souvenirs. À titre personnel, ça me laisse légèrement sceptique.

La mémoire c'est fait pour ça non ?

Après si c'est important pour Émilie de prendre un cliché d'un étal brinquebalant, assez sale et désordonné, je me vois mal l'empêcher de faire. Je me souviens d'une fois où elle a insisté pour prendre en photo du sable sur une serviette. Ma sœur ne devais pas avoir plus de douze ans, c'était l'été et on était en vacance dans le Sud. Je l'ai charriée des heures et des heures - jusqu'à ce qu'elle me montre le résultat sur l'écran de l'appareil en fait - croyez moi, j'ai fermé ma gueule tellement le résultat était bluffant.

- Enzo, tiens ça comme ça.

- Déjà les mains prises je te rappelle.

- Pose ton carton par terre abruti.

Waouh, avec un mot d'amour pareil je suis obligé d'accepter. Je m'approche et m'exécute : une fois le carton au sol, ma sœur me tend des pochettes que je dois tenir de façon très bizarre.

- Pourquoi je dois les mettre l'une sur l'autre ?

- T'occupes.

- Mais dit moi wesh !

- Je suis concentrée là putain !

Elle râle et je souris. Je change plusieurs fois de positions, toutes moins logiques les une que les autres. Heureusement qu'il n'y a aucun autre client qui s'approche de l'échoppe car je crois qu'on monopolise tout l'espace avec notre shooting improvisé. Tout s'enchaîne en silence jusqu'à l'instant où Em se met à me fixer.

Quoi ?

- Quoi ?

- Y'a pas assez de lumière.

Elle continue de pointer ses iris sur moi, à la fin elle fronce même les sourcils. Je comprend rien, je suis censé faire quoi là ? Il me faut un décodeur, sérieusement. D'ailleurs y'a pas un vendeur qui propose ça là maintenant ?

- T'attends quoi de moi au juste ?

- Que tu sortes ton portable.

- Et j'étais supposé le deviner tout seul ?

- J'ai dit qu'il me manquait de la lumière Enzo.

Je hausse les épaules, je ne comprends toujours pas en quoi consiste ma mission. Néanmoins je sors mon téléphone de ma poche et le lui tend.

- C'est toi qui doit le tenir.

- Explique moi putain !

Ma sœur lève les yeux au ciel avec une mine exaspérée sauf qu'elle a omis que je ne suis pas télépathe. Les mots ont justement été créés pour ce genre de situation : elle devrait vraiment les utiliser pour communiquer car pour le moment je suis à l'ouest. Elle finit par me murmurer "le flash".

Bah voilà ! C'était pas si compliqué !

- Où exactement ?

D'un doigt, elle désigne le visage de l'artiste sur le dessin. Bien, aujourd'hui ma sœur à décidé d'être muette il semblerait. On va aller loin comme ça, génial.

- Plus à droite.

- Comme ça ?

- En fait plus à gauche.

- Là c'est bon ?

- Nan, plus bas.

- Vas y t'es chiante Em là !

Au bout de minutes qui me paraissent plus qu'interminables, ma sœur est enfin satisfaite de son travail. Je vous jure que j'ai des crampes partout, même jusqu'aux avant bras. Elle a intérêt à me faire un bisous en guise de paiement. La connaissant ça ne risque pas d'arriver mais l'espoir fait vivre, comme on dit.

Em me fait signe qu'il est temps pour nous de partir et je souffle lentement. C'est plus que l'heure de dégager de cet endroit, j'en peux plus. Seulement, une vieille dame s'intéresse aux fameux disques et la sœur se stoppe à nouveau.

Tout sauf ça.

- Madame ?

Non. Non. Non.

- Je peux vous prendre en photo s'il vous plaît ?

Si vous voyez dans le parisien un article avec l'en-tête : il tue sauvagement sa petite sœur lors d'une brocante, vous saurez dorénavant que je serais largement coupable dans cette histoire. Sa faculté à me pousser à bout en permanence me fatigue, vraiment.

- Oh oui ma belle ! Avec grand plaisir.

Je souris malgré moi devant l'octogénaire : ce petit bout de femme est vachement attachant. Elle pose sans problème devant l'objectif et fait même des grimaces sur quelques clichés. Je la détaille un instant et remarque que sa peau est marquée par les rides, cette dame a dû en vivre des événements.

Peut être qu'elle a tué sa sœur elle aussi.

- Vous avez un accent non ?, je demande.

- Et oui jeune homme !

- Vous venez d'où ?

- De la Grèce !

Je ris, elle semble vraiment heureuse de rappeler ses origines. Dans ma famille on vient de nulle part. Enfin j'imagine qu'on doit bien avoir quelques racines dans un pays étranger s'il y a longtemps mais jamais personne ne m'en a parlé.

- Em c'est fini, arrête d'embêter la dame.

Pour une fois elle semble m'écouter car je la vois remercier son modèle et ranger son appareil photo. C'est cet instant qu'il aurait fallut capturer pour toujours.

- Moi je m'en vais les jeunes ! Amusez vous bien !

- Merci madame !

Je récupère le carton de ma sœur, je l'avais presque oublié celui là. Je grimace en le soulevant, qui eu cru qu'un carton remplit de vinyle puisse être aussi lourd ? Bah pas moi. Cette fois ci on part réellement de cette foutu brocante et c'est pas trop tôt. D'ailleurs y'en à une qui doit penser la même : à peine rentrée dans la voiture, Em s'endort. Tout ça me rappelle que je lui dois un cadeau alors je tente de réfléchir en conduisant. Je repense à la journée, aux disques, aux pots aux fleurs pourries. Puis soudain, quelque chose me vient : je voulais un objet à valeur sentimentale. Le genre de présent qui nous suit toute notre vie, tout notre futur.

Je sais.

D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant