9 - SOFIA

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- Il est parti comme ça ?

Je fais une moue boudeuse, mais qu'est ce qu'il lui a pris ? J'ai absolument rien compris à l'événement qui vient de se passer. Pourtant je l'ai vu, il vient juste de se dérouler sous mes yeux. Faut m'expliquer parce que là mon encéphale bloque clairement.

- Genre il est rentré puis paf il est sorti.

- Laisse tomber, je réponds.

- Mais ce mec sait pas ce qu'il veut !

- On s'en balec je t'ai dit, il fait sa vie et on fait la notre.

- Ouais mais quand même, ça se fait pas.

Je hausse les sourcils. J'en ai pas grand chose à faire, c'est qu'un client parmi tant d'autres. D'ailleurs t'en a pleins qui sont beaucoup plus mignons. Célibataires qui plus est. Ça, je le sais grâce à la divine application que j'utilise tout les jours. J'ai de la chance qu'instagram soit encore gratuit sinon je serai ruinée pour la fin des temps.

- Il est chelou hein.

- Ta beauté l'a intimidé bébé, je plaisante.

Mon grand black est ravis par ce compliment et il descend de son piédestal, autrement dit mon comptoir. Un jour on retrouvera l'empreinte de ses fesses sur ce meuble et des archéologues étudieront afin de connaître le secret pour avoir un derrière aussi ferme. C'est pas le sport j'en suis sûre car la seule fois où Barack s'est rendu dans une salle c'était le jour où il a payé son abonnement. Je le sais car j'étais là. Qu'est ce que vous croyez ? J'aurais manqué ça pour rien au monde.

- C'est la mort ici, y'a personne qui passe frère.

- C'est ta gueule qui fait fuir tout le monde aussi.

Pas faux. Quand j'étais dans l'arrière boutique tout à l'heure, j'ai profité de la présence de mon miroir pour voir ce qu'est devenu ma face. Figurez vous que c'était pas beau à voir. Mais alors vraiment pas du tout. En plus de me faire un mal de chien, l'œil au beurre noir a muté pour changer de stade. Il a l'étrange capacité d'évoluer tel un Pokémon pour passer d'un bleu pâle à un violet plus qu'immonde. Et l'énorme couche de fond de teint n'a fait qu'empirer les dégâts.

La vie est plus dure depuis l'invention de l'eyeliner.

- Tu crois que si je montre ça chez sephora ils me remboursent ?

- Meuf, non seulement ils te remboursent et en plus ils te filent un bon d'achat et un parfum gratos.

Je ris. Peut être que le black dit vrai, peut être que le black dit faux. Mais mon cerveau penche sincèrement pour la seconde option.

- Tant que tu parles de magasin...

- Non Barack. Pas d'autre tuto makeup. C'est hors de question.

- Wesh t'es relou ! J'allais pas te parler de ça !

- T'allais parler de quoi alors ?, je suis sceptique.

- De la condition féminine dans notre société d'aujourd'hui et de l'écart des salaires homme-femme.

Je hausse les sourcils et fixe le rwandais. Là, j'y crois plus du tout. Je passe en revue toutes les possibilités et je n'en vois plus. Soit il est bourré - or il n'empeste pas l'alcool - soit son nouveau crush est une féministe engagée. Sérieusement je ne vois pas d'autres explications logiques et rationnelles dans l'immédiat.

- Je déconne.

- Tu crois que j'avais pas saisi mec ?, je ris.

- Viens on fait les soldes demain ensemble.

Je réfléchis. Demain on est samedi et ce jour de la semaine je ne travaille pas l'après-midi. Il m'est arrivé de le faire pendant un temps mais à force de bosser j'avais plus de vie. C'était métro boulot dodo, littéralement. La cadence était insoutenable et ça sert à rien de se forcer quand t'as zéro énergie. Résultat : bosser devenait une corvée alors qu'à l'origine les fleurs étaient tout mon univers.

- On a pas le même budget Barack.

- Je sais.

- Donc on peut pas, je réplique.

Il me supplie en faisant une moue qui ressemble faussement à la tête que fait le chat botté devant Shrek. Bien que je ne sois pas toute verte et énorme, cette technique fonctionne à tous les coups et c'est injuste. Pour l'instant je n'ai à la connaissance aucune expression qui puisse produire le même effet sur mon grand black. Il ne joue pas fair play et il le sait, pour preuve il abuse de cet atout.

- Promis on va que chez H&M ou Zara.

- Pas de boutique de luxe ?

- Sur la vie de ma mère.

Barack vient d'un milieu tellement plus aisé que le mien que parfois je me demande comment on a fait pour se rencontrer. Mais malgré nos deux classes sociales différentes on a tout de suite su se comprendre et s'écouter. Ses parents m'ont de suite adoptée et Mamita n'a jamais vu cette amitié d'un mauvais œil : ça nous a rendu invincibles. Chez certains c'est "les potes avant les putes" mais chez nous c'est les potes avant tout.

- Tu fais chier, tu sais ça ?

- Merci merci merci bébé.

De rien.

J'avoue, j'avais rien prévu de faire ce week-end. Seulement, un Netflix And Chill reste dans tout les cas beaucoup plus attractif que des heures interminables à chercher des fringues avec Barack. Le seul shopping que j'aime vraiment c'est celui qui consiste à dénicher des vieilles affaires dans les friperies. D'accord j'admets, l'odeur d'humidité dans ces boutiques n'est pas très agréable. Mais lorsque cette première impression est dépassée, l'esprit du lieu envahit l'espace et ça fait drôlement sympa. Enfin, je trouve.

- J'ai entendu parler d'une brocante aussi.

Ce détail me revient d'un coup. J'ai vu un flyers la semaine dernière annonçant l'événement, il gisait au sol abandonné dans le métro. Je peux même jurer que c'était entre St-Michel et Odéon.

- Tu vas pas encore acheter des vases ?

- Quoi ? J'en ai pas tant que ça frère.

- T'abuses.

De toute façon il peut pas dire non, j'ai besoin de quelqu'un qui va transporter tout mon butin et il le sait. On se sert pas de n'importe qui pour ce genre de mission, ça nécessite d'utiliser un individu de confiance. De plus, va falloir laver et récurer le tout car mes plantes ne rentrent pas dans n'importe quel pot : il leur faut un environnement propre et sain.

- On restera pas longtemps Sofia ! Je te préviens.

Je souris et ignore sa remarque. Je fais comme je veux, après tout c'est un investissement pour la boutique. C'est un achat purement professionnel qui n'a pas du tout comme but de satisfaire ma folie compulsive d'objet ayant un rapport avec les plantes. Je le jure. Si par dessus tout ça peut faire chier un peu Barack, c'est tout benef.

La voilà ma vengeance.

D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant