57 - SOFIA

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- J'arrive.

- T'es vraiment en train de m'appeler pour me raconter ça frère ?

Je souris même si Barack ne peut pas me voir à travers le portable. C'est bien mon pote ça, toujours des idées à la cons. Puis on sait tous très bien que le mot j'arrive est une pure arnaque. On est déjà tous arrivé une fois sans même être partis de chez soi.

- Tu peux me le dire si t'es encore dans le métro tu sais.

- Promis je suis là dans dix secondes.

- En plus il me ment au téléphone !

- Relève la tête bébé.

Je fronce les sourcils puis m'exécute, c'est pas possible qu'il soit déjà là. Lorsque je relève ma tête je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Après tout, les rwandais ça à la réputations d'arriver toujours en retard et ça serait bête que le black rompe avec la tradition.

J'avoue que je n'ai pas de mots quand je me rends compte que Barack est bel est bien là devant moi. Alors ma seule réaction est d'avancée vers lui, stupéfaite.

- Mec tu me laisse bouche bée.

- Depuis quand tu parles comme ça toi ?

Je retiens un depuis que je baise ta mère totalement inapproprié qui ne me correspond pas et préfère à la place lui faire un doigt d'honneur.

Subtil mais efficace.

- Sinon y'a des travaux dans la rue ?

Je fais une moue désespéré et répond positivement à la question. Effectivement j'ai vu ce matin que la mairie a décidé de refaire les trottoirs, comme si c'était le bon moment. La boutique galère naturellement à trouver ses clients alors si en plus on leur bloque l'accès au magasin...je suis perdue. Puis je dois reconnaitre que ça me préoccupe plus que ce que je ne laisse paraitre.

- J'ai parlé avec ma tante de ça en arrivant...ça fait chier un peu.

- Tu m'étonnes.

Je souffle une dernière fois pour reprendre contenance. D'un coup je sens des larmes monter à mes yeux alors que je n'étais absolument pas prête pour ça. Cette boutique c'est une extension de moi, littéralement, et ça me crèverait le cœur de la perdre. Mine de rien tous ces bouquets, tous ces parfums font partis de mon quotidien depuis un moment. Puis mes fleurs sont de êtres vivants - quoique certaines personnes peuvent en dire - et j'ai comme la sensation de devoir veiller sur ma grande famille coûte que coûte.

Alors oui, je vais en braver des tempêtes mais je me battrais jusqu'à la fin.

- C'est pas bon pour le commerce tout ça.

- Pourquoi tu déménagerai pas ?

Je songe un instant à sa remarque. Seulement nouveau quartier signifie nouveau local et nouveau local signifie acheter, payer, bref : dépenser la thune que je n'ai pas vraiment en ce moment. Pourtant je ne peux m'empêcher de penser que l'idée n'est pas forcément mauvaise car le chiffre d'affaire de mon magasin dépend aussi du lieu où je me trouve.

Ce que je veux dire, c'est que si les clients sont aussi dur à appâter ici c'est parce que le secteur n'est pas totalement approprié à la vente. De ce point de vue là, le changement est donc plutôt opportun.

Sauf qu'un détaille me chiffonne.

- Tu sais que c'est la rue de ma famille ici, j'aurais les boules de partir.

- Meuf t'as juste ta tante en face. C'est tout.

- Bah c'est ma famille. Deux membres sur trois bossent ici.

- Et un squatte souvent.

- Tu parles de toi là ou de Mamita.

- Je te laisse deviner.

Il reste énigmatique et me sort son sourire de mec sûr de lui. Je vous jure il transpire la confiance en soi, c'en ait dégoutant.

- Redescend mec.

Je me baisse et attrape mon chat qui réclame de l'attention depuis que je l'ai interdis de toucher à notre nouveau pensionnaire. Rassurez vous, lui je ne compte pas le ramener à l'appart : ma grand-mère ferait une syncope si jamais elle le voyait.

Ou en entendait même parler.

C'est pour ça que ce genre de décision reste secrète : question de sécurité avant tout. Je vois une main passer devant mon visage à plusieurs reprise alors j'arrête un temps de papouiller Lomepal et prête attention à mon black.

- T'étais dans la lune toi. Ton téléphone vient de sonner, t'as reçu un texto je crois.

- Pas grave laisse.

C'est vrai, à l'instant répondre à je-ne-sais-qui n'est pas ce qui me préoccupe. Puis si la personne veut vraiment me joindre, si ce qu'elle a à me dire est si important, elle n'a qu'a appeler.

- T'as amener des écharpes.

- Tout une collection bébé.

Je lève les yeux au ciel. Pourquoi faut-il donc toujours qu'il en fasse trop ? C'est innée chez lui de se donner en spectacle.

Apprend à te tenir frère, on est dans une boutique là.

Enfin, même si c'est la mienne le conseil reste bon a appliquer dans tous les cas. Avec Barack on se dirige naturellement vers l'arrière du magasin : l'endroit où on a décidé d'accueillir Ratatouille. Vous vous douter bien qu'on pouvait pas appeler ce rat autrement...même si le black n'a toujours pas digéré la nouvelle.

- Meuf je lui ai commandé une écharpe Béyonce en soie et elle est arrivée pile avant mon dernier cours. C'est fou ce qui peut se passer quand on rajoute vingt balles dans la livraison.

- Quoi ? Mais t'es dingue en fait. Puis ils t'ont apporté ton colis à l'école ?

- Ouais, par Uber.

Depuis quand les chauffeurs privés amènent des colis aux gens ?

Parfois j'oublie qu'on vient pas du même milieu, Barack et moi, alors généralement des petites anecdotes comme celle d'aujourd'hui me ramènent à la réalité : il est vraiment pété de thunes.

Pas moi.

Mais ça ne me dérange pas dans le fond car le rwandais garde les pieds sur terre malgré son patrimoine pas négligeable. Il reste humble et n'a jamais eu cette mentalité snob qu'on les gens aisés. Des fois j'ai même l'impression qu'il est plus en galère que moi.

- Bon, on la commence cette installation ?

J'acquiesce, prête à tout pour accueillir comme il se doit le petit animal poilu.

- Donc on fait le lit dans le coin le plus à droite.

- Mais nan frère, à gauche y'a plus de lumière.

- Mais la fenêtre ramène aussi de l'humidité.

Si on n'est pas d'accord si quelque chose d'aussi élémentaire on est mal barrés. Sérieux, je défends idée car c'est la meilleure. Et de loin.

- Tu veux pas non plus qu'on le mette sous le comptoir tant qu'on y est ? Comme ça il est chauffé par l'ordi, l'imprimante, et l'appareil à carte bleue.

Ces phrases se voulaient purement ironiques mais lorsque je vois les yeux du rwandais s'agrandir je comprends que lui n'est pas du même avis que moi. Il trouve que c'est une bonne idée, la catastrophe.

Comment je vais me sortir de là ?


D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant