60 - ENZO

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A bout de souffle, je sors de la cabine d'enregistrement. Faut dire que le son que j'ai écrit est particulièrement sportif pour mes poumons : le flow est dingue. Au passage j'en profite pour jeter un coup d'œil à l'heure et remarque qu'il est trois heures du mat' passées.

- Em va te coucher.

- Je suis pas une gamine. Je dors à l'heure que je veux.

- Je plaisante pas, faut vraiment que tu rentres.

- Enzo a raison, t'as des cernes jusqu'aux pieds petite.

Le regard noir de ma sœur passe de moi à Hakim. Je ne m'inquiète pas, il savait très bien ce qui l'attendait si jamais il prenait le risque d'intervenir. Voir Emilie ici me fait plaisir, surtout que depuis qu'elle à passé la porte du studio elle semble métamorphosé. Jusqu'à maintenant un sourire n'avait pas cessé de quitter ses lèvres.

Et ça fait chaud au cœur.

- Encore trois photos, c'est tout.

- T'es le meilleur frère du monde.

- Ouais c'est ça.

Je me retourne vers la console, Mike n'a pas pris un instant pour parler et j'aimerais avoir son avis sur la prise qu'on vient de terminer. Selon moi j'ai buté sur quelques mots pendant le rap mais je sais que lui et ses machines sont capables de faire des miracles dans certains cas. Je le regarde écouter une dernière fois l'essaie puis lorsqu'il retire enfon son casque, j'enchaine :

- T'en penses quoi ?

- J'suis mitigé.

Je hoche la tête, parfaitement d'accord avec lui. Il manque un truc.

- En fait t'es trop absorbé par le fait qu'il faut rapper vite, tu balances les mots sans vraiment t'appliquer à les dire. Comme là par exemple.

En appuyant sur une touche il balance l'enregistrement et mon attention se focalise sur le moment qu'il m'a indiqué. Une fois que le morceau repasse plusieurs fois je comprends ce que le blond veut dire.

- Ouais et dans le refrain je m'applique pas.

- C'est ça, en fait on s'en fout de la technique maintenant. On sait que tu l'as maitrise, t'as fait tes preuve avec Jungle.

- Et je dois transmettre de l'émotion, montrer que je peux aussi vivre mes sons.

- C'est exactement ça.

Je m'isole dans un coin de la pièce pour travailler un peu vu que le canapé est squatté par Haks. Je répète encore et encore jusqu'à j'arrive enfin à oublier le débit impressionnant que je dois tenir pendant toute la chanson. Ma priorité c'est que le sens de mes paroles ressortent.

- Je suis prêt.

J'attrape une bouteille et bois une gorgée d'eau avant de refermer la porte de la cabine qui me sépare des autres. J'enfile le casque et une fois positionné face au micro, j'indique d'un signe de tête que Mickael peut lancer la prod.

Dès les premiers accord je commence à poser ma voix et j'enchaine. Sauf qu'un truc ne va pas. Je le sens.

- STOP !

Je lève la main pour que mon pote arrête l'instru. C'était nul, dès le début tout est parti en couilles et je déteste ne pas réussir quelque chose que j'entreprends.

Et c'est encore pire dans le rap.

- Qu'est ce qu'il y a.

- J'arrive pas.

Je me mords les lèvres et fais lentement un tour sur moi même. Ca me fout la rage car buter autant que ça sur un morceau ne me ressemble pas du tout. D'ordinaire quelques prises suffisent seulement pour que je boucle le tout. Mais ce soir ça ne marche pas.

Fait chier.

- Arrête, t'en est capable on le sait tous.

Je relève les yeux vers Hakim qui vient de prendre la parole. Je croyais qu'il dormait sur le canapé, depuis le temps.

- Nan, là c'est pas la même chose.

Ce que j'ai omis de vous dire depuis le début c'est que ce son n'est pas comme les autres et je crois bien que je sais depuis le début qu'il ne sera pas simple à poser. En réalité j'avais pas du tout prévu que ce morceau figure sur mon second album.

Tout simplement parce qu'il parle de Sofia.

Au début je l'ai écrit parce que le visage de ma brunette trottait depuis trop longtemps dans mon esprit sans que j'arrive à m'en débarrasser. Alors j'ai fait la seul chose dont je suis capable pour lutter contre un truc : j'ai pris un stylo, mon carnet et j'ai écrit.

Je me souviens très bien du moment où j'ai gratté sur ma fleuriste : c'était juste après notre premier rendez-vous. Vous vous souvenez des lasagnes et des glaces, du jardin du Luxembourg ? Bah c'était juste après ce moment précis.

Je vais pas vous cacher plus longtemps la vérité, j'ai écrit tellement de morceau sur ma grecque depuis que je pourrais presque consacrer un projet entier où je ne parlerai que d'elle. Mais jamais j'assumerai de le sortir dans les bacs, c'est trop personnel et vu comment les médias s'acharne à pourrir ma vie depuis quelques temps je ne vais pas leur faire le plaisir de leur livrer sur un plateau ma vie privée toute entière.

Alors oui, je galère à faire ressentir mes sentiments sur ce son car j'ai peur.

Peur que ce soit la bonne.

- Faut que je prenne l'air.

- On t'accompagne tous.

J'acquiesce, c'est le moment de ramener ma sœur à l'appart de toute manière. On sort du studio puis on se met d'accord sur le fait que personne n'a envie de conduire à cette heure dans la capitale. De toute manière avec les travaux partout qui reprennent dès qu'il fait nuit c'est presque impossible de circuler dans les rues. Résultat on marche en direction de chez moi en silence.

Jusqu'à ce qu'une voix qui gueule dans la rue attire mon attention.






D'amour et de RapOù les histoires vivent. Découvrez maintenant