35. Quand tout se mélange

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Après un combat de rue, chaque camp s'approprie un sentiment de victoire, même si l'un d'eux porte officiellement le stigmate de la défaite. Juro dut se faire sa propre idée de l'issue de la rencontre : elle s'était jouée à peu de choses. La réputation de Takeo ne péricliterait pas de sitôt mais Juro pouvait se féliciter d'avoir rassemblé autant d'individus contre lui, démontrant bien que Napoléon ne faisait pas l'unanimité parmi les nintaïens. Nino et Yuito, eux, furent dispensés de cours pour la semaine à venir.

Dans la journée de lundi, la totalité des « perdants » optèrent pour l'école buissonnière. L'établissement Nintaï sembla avoir été amputé de la moitié de son corps étudiant. Takeo fut ravi et malgré la longue incise qui resterait gravée sur sa joue droite, il fut le sujet de commentaires dithyrambiques de la part de ses suiveurs.

Les deux jours de travail suivant le règlement de comptes, je campai dans le secrétariat. Après une bagarre de cette envergure, si je n'achevais pas les dossiers de réclamations envoyés à l'établissement par les autorités, le proviseur me tomberait dessus.

Les gaillards n'avaient pas intérêt à me faire subir de nouveau le rôle de témoin ! J'avais un visa à maintenir, fichtre ! À la lumière crue de la lampe de bureau, j'implorai les sept dieux de la chance afin qu'il n'y ait aucune retombée sur moi.

Pourvu qu'il ne survienne plus de confrontation aussi importante que celle-ci ! Il y en avait déjà tellement eues depuis que j'étais arrivée à Nintaï... Minoru m'avait prévenue que j'avais débarqué dans une année de « grand cru ». Mais la tournure des évènements dépassait les limites d'un simple conflit entre jeunes. Contrairement à ce que j'espérais, le nœud du trafic de drogue ne s'était pas dénoué à l'issue du combat.

Je jetai un œil sur les papiers empilés sur le bureau. À la lecture du courrier il était manifeste que la police et les riverains ne pardonneraient plus les infractions commises par les étudiants nintaïens.

La nuit du troisième jour fut pénible. J'absorbai une quantité aberrante de café et à l'aube, rentrai à l'appartement me doucher et me changer.

Je n'eus d'autre choix que de sécher les cours de droit. Il y eut bien, pour me remonter le moral, la visite de Kensei qui vint prendre de mes nouvelles dans l'après-midi. Son œil droit était si enflé que je ne parvins à savoir s'il était clos ou au contraire bien ouvert. Ce fut une sensation très dérangeante que de ne pouvoir déceler ce qui passait dans ses yeux.

Il insista pour m'offrir un nouveau portable, le mien étant irrécupérable : dans la panique, j'avais dû oublier d'en ramasser des morceaux sur le terrain. Je refusai mais il me mit entre les mains un boîtier joliment emballé. C'était exactement le même portable que mon ancien. Kensei n'était pourtant pas responsable... Pour libérer ma conscience, il m'assura avoir obtenu un prix très raisonnable auprès des connaissances du Vieux. J'escomptai lui rembourser le prétendu coût d'achat rapidement. Le connaissant, je retrouverai sûrement à la première occasion les billets sur ma table de nuit.

Nous nous tînmes serrés longtemps l'un contre l'autre, sans dire un mot. Recroquevillée sous ses large épaules, je laissai mes doigts glisser sur sa peau olive et rencontrer la multitude de croûtes sur son visage et ses bras. Ses pommettes hautes et sa mâchoire développée tressaillirent de douleur. Il s'écarta et partit rejoindre son club. Dans ses yeux noirs en amande, je captai du regret. Je ne lui en tins par rigueur : après tout, il avait des responsabilités et son sens du devoir lui ordonnait de retourner s'occuper de ses cadets, qui pour lui, s'étaient démenés sur le terrain vague. Certains avaient les dents et les oreilles abimées, les phalanges cassées et tous avaient les membres couverts de bleus et d'écorchures. Kensei était très fier d'eux : aucun membre du club de mécanique n'avait déserté.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant