60. Ce dont on a besoin

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[Narration : Lucie]

« Tennoji t'a bien aidé sur ce coup, nota Mika.

Continuant de marcher, Minoru laissa échapper la fumée de cigarette dans un soupir à fendre l'âme.

— J'avoue.

— Franchement... Cette fille n'a aucune dignité !

— Les gens confondent trop souvent pitié et compassion.

A côté d'eux, Takeo se retourna pour interpeler Ryôta.

— Hé, Ryôta, tu voudrais pas sortir avec Sumiho ? Ça débarrasserait Minoru ! J'peux pas demander à Takeo, elle lui a mis un râteau.

Ce dernier cracha par terre et Ryôta leva la tête de son portable qu'il consultait depuis notre départ du bar. Il fronça ses sourcils épilés en tordant la bouche :

— Tu rigoles ? C'est la copine de Naomi ! Et je ne sortirai jamais avec une nana qui a rejeté mon pote.

— Quoi ? J'te fais pitié ? s'étrangla Takeo en ralentissant son allure.

Un retentissement de rires quinteux traversa le groupe qui se remit en marche. Takeo s'étira les bras en l'air :

— Au moins, j'ai toute la place ! Sous la peinture, je la trouve mignonne.

— À gratter...

— Mika ! Tu n'es pas possible ! le morigénai-je.

— La ferme, Clé-à-molette ! Sans son maquillage, elle doit être si moche que s'il lui venait l'idée de lancer un boomerang, il ne reviendrait pas.

Les caïds éclatèrent à nouveau de rire avant que Minoru renchérisse :

— Ouais, démaquillée, elle doit avoir tellement de boutons qu'à sa vue, ma pizza en serait jalouse !

— Vous vous gourez les gars, objecta Ryôta de son timbre posé. Sumiho n'est pas trop mal. J'ai appris à voir à quoi ressemblait une fille sous cinq couches de maquillage. C'est bien grâce à mon expérience que j'arrive à sortir avec les plus potables.

— Tu es dur, marmonnai-je.

— Aucune nana ne s'en plaint !

— Ryôta ! Alors... Qu'est-ce que tu regardes en premier chez une fille ?

— Son cœur, bien sûr ! Après... S'il est derrière ses nichons, c'est pas de ma faute.

Takeo nous rattrapa en deux enjambées :

— Sérieux, mec. Comment tu fais pour savoir si une fille est vraiment jolie ? 

Ryôta lui tapa dans la main et affirma qu'il avait déjà été témoin de ce qu'il appelait la transformation.

J'écoutai l' « Idol » sans broncher. Étant moi-même une fille, j'avais hâte de savoir ce qu'ils pensaient de tous les efforts que la gent féminine produisait pour être séduisante.

Ryôta contourna un réverbère et claqua ses doigts.

— Après une nuit au love hotel, tu remarques tout ce que t'as pas pu voir parce que t'avais bu. La nana se réveille, enfile ses fringues froissées, elle se lamente qu'elle a mal à la tête et me reproche de l'avoir fait boire – Alors que c'est elle qui a commencé à commander. En général, c'est à ce moment que je m'écarte parce qu'elle a une haleine de chacal ! 

Ça commençait bien ! De concert, les gaillards s'esclaffèrent. Ryôta poursuivit, l'air désabusé.

— La fille se place devant le miroir, se tartine la tronche de fond de teint et d'anticerne, elle essuie vite-fait le mascara qui a coulé pendant la nuit et en remet une couche. Elle se recoiffe un peu, étale du rouge à lèvres, puis du gloss – Minoru tira la langue d'un dégoûté. Finalement, elle me demande de confirmer si j'ai bien pris mes dispositions. Je réponds que oui, elle propose qu'on se revoit, je lui réponds que je ne sais pas encore et elle m'insulte. Ça me fait rire, parce que je lui rappelle qu'elle était consentante. À ce moment, elle claque la porte en criant ou en pleurant. Ensuite, je peux profiter de la douche, peinard.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant