43. Un Peter Pan underground

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Nous distancions Juro par la ruse : Minoru connaissait les quartiers d'Osaka comme sa poche. Toute la métropole avait un jour dû apercevoir sa silhouette dégingandée et sa foulée élastique au détour d'une rue. L'opossum pratiquait un footing quotidien et des défis hebdomadaires. Il changeait souvent d'itinéraire car à défaut, il se lassait.

Minoru glissa et se tapa la tête contre les dalles sur le sol. Lorsqu'il se redressa, sonné et chancelant, le sang coulait abondamment de son arcade sourcilière. Il s'appuya à un mur le temps de retrouver son équilibre tandis que j'apposai des mouchoirs superposés sur sa plaie. Minoru me sourit, maintint les pansements improvisés à ma place. De sa main libre, il prit de nouveau la mienne et recommença à courir.

La partie de cache-cache dura. Je ne cessai de trouver des planques pour m'arrêter, souffler et m'enquérir de l'état de Minoru.

Brusquement, alors que nous étions cachés derrière une voiture et nous couvrant mutuellement la bouche, la moto bordeaux surgit par le côté sans que nous l'ayons entendue arriver.

Minoru se dressa comme un ressort, l'expression hargneuse, prêt à asséner le premier coup de poing. Il avait lâché sur le sol les mouchoirs rouges de son sang.

Juro ne prit pas la peine de claquer son cric ou d'ôter son casque ; il souleva simplement sa visière et nous toisa, l'œil reptilien et sarcastique : « Salut les raclures ! J'viens pas vous déglinguer. J'veux juste vous dire que j'en ai plus rien à cirer de Nintaï. Content de vous avoir foutu la trouille. Bye ».

Sur ces mots, Juro abaissa d'un coup sec la visière et repartit dans un assourdissant bruit de démarrage d'engin mal huilé. Durant quelques secondes, abasourdis, Minoru et moi demeurâmes pantois. Toujours accroupie derrière la voiture, je tendis de nouveaux mouchoirs à Minoru en déglutissant :

« Tout ça pour rien ? C'est impossible ! Il ne peut pas disparaître comme ça !

Minoru fronça les sourcils, ce qui accrut l'écoulement de sang :

— Il a fini. J'crois qu'il est dégoûté de se faire chaque fois rétamer par Takeo.

— Quand même... Je ne comprends pas.

— Y'a pas de logique à tout, Clé-à-molette.

Il appuya les mouchoirs que je lui tendais sur son arcade sourcilière qui continuait à saigner. C'était le deuxième paquet. Il grimaça un peu et mordit sa lèvre inférieure :

— Bon, on va pas rester là... ! Allez, on y va !

— Attends, protestai-je, s'il te plaît. Je reprends mon souffle.

Déjà debout, il secoua la tête d'un air condescendant.

— Clé-à-molette, s'il y a peut-être un truc que t'as raté dans ton existence, c'est de tomber d'épuisement.

— ...

— Pas d'épuisement nerveux, hein ! Je parle bien d'épuisement physique. Tu devrais essayer. Ça arrive quand tu fais beaucoup de sport : tu te sens mourir mais quand tu reviens à toi, c'est comme si tu te trouvais dans un corps neuf, pur et renouvelé.

— Je suis épuisée, là, grinçai-je.

— Pas encore tout à fait.

Je me relevai sans m'aider de mes mains et manquai de m'étrangler avec la lanière de mon sac passé en bandoulière qui s'était prise dans mon genou.

Minoru, avancé de quelques mètres, fit un quart de tour et me sourit pendant que je finissais de me désempêtrer.

— J'arrive ! » criai-je en me précipitant.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant