68. Transformation

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[Narration : Minoru]

J'avais hâte de sortir de l'établissement et de rejoindre la rue. Je détestais la peinture jaune d'œuf des murs de la classe, ses affiches, ses tables graffitées, la poussière, la crasse incrustées dans les fissures des plinthes et les discours soporifiques des professeurs.

Quelques mois plus tôt, je n'aurais pas hésité à faire l'école buissonnière. Mais une période inouïe avait vu le jour : plus violente, plus cruelle, plus maligne et aussi à l'inverse mieux organisée et porteuse de nouvelles expectatives.

L'établissement Nintaï était en pleine mutation et moi, je ne supportais plus personne.

A travers la fenêtre, je distinguai deux types sous le préau collant des claques à un troisième, qui se défendit. Un cercle d'uniformes noirs ne tarda pas à se former autour d'eux. Je soupirai. Cette routine devenait-elle pitoyable ou avais-je muri ? Je n'avais plus quinze ans mais ne me sentais ni docile, ni malléable, encore moins responsable. Il y avait des jours où je ne savais que faire de moi. La vaisselle et les devoirs ne comptaient jamais dans mes considérations. Pourtant j'avais le sentiment, depuis la première année, d'avoir gagné en mesure et en discipline. Les gens qui me connaissant bien s'accordaient même à dire que j'étais poli, attentif et respectueux.

Soudain dans mon dos, Ryôta bondit sur une table et lança une craie sur le tableau. Elle toucha la cible – le portrait de Madame Taka griffonné. A l'impact, la craie se morcela en petits fragments et en fines poussières blanches. Quelques types le félicitèrent pour la précision de son jet. L' « Idol » sourit, satisfait, en passant la main dans ses cheveux cuivrés pour les recoiffer.

« Pourquoi t'as fait ça ? m'enquis-je en détournant le regard de la fenêtre encrassée.

Ryôta bâilla.

— J'sais pas, Minoru. Je l'ai trouvée par terre. C'était pour tester. Pas de bol, ça s'est cassé.

— Tu casses tout. Même les filles.

— Hé ! Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— J'trouve ça nul.

— Ben quoi ? T'as un p'tit faible pour la Taka ?

— T'es con.

Les muscles du corps de Ryôta se raidirent. Irrité, il sauta de la table et s'avança vers moi comme un tank, les mains hors de ses poches.

— T'as un problème, la grande gueule ?

Derrière lui, nos camarades de classe nous observèrent, dubitatifs. Je ne me démontai pas. Récemment, j'avais déjà pris une droite de Daiki qui m'avait bousillé la mâchoire.

Je me levai lentement de ma chaise et ajustai le col de ma veste en toisant Ryôta. Il m'arrivait au cou et dû élever la nuque pour m'affronter du regard.

— C'est toi qui a un problème, l' « Idol ». Range tes poings, y'a pas de raison de se battre. T'as rien à prouver.

— Si t'es si raisonnable, pourquoi tu me cherches, hein ?

— J'te donne mon point de vue, c'est tout.

— Ce que tu peux être rasoir ! grimaça-t-il. Depuis quelques jours... Qu'est-ce qu'il t'arrive, mec ?

— T'es plus fort en braillarde qu'en muscles !

— Boucle-là, enfoiré ! Qu'est-ce que tu racontes ? Toi t'es épais comme un sandwiche surgelé !

— Tu veux du fric, des fringues, des nanas, des bagnoles pour le fun et la frime ! C'est p'têt ce que tu veux, mais n'embarque pas les autres !

Ryôta m'empoigna par le col.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant