66. Sans Recours

191 23 162
                                    

Reizo me fit asseoir sur son matelas, sortit une Strong Zero du réfrigérateur pour moi et une Kirin pour lui.

J'avais tenté de m'enfuir sur le chemin mais il m'avait encore menacée : « J'ai déjà choppé le numéro de Kensei ». Peut-être qu'en obéissant à Reizo, j'arriverai à parlementer.

L'ampoule au plafond crépitait toujours avec le bruit d'un insecte qui chercherait à passer de l'autre côté d'une vitre. Il flottait dans la pièce une odeur de renfermé et de cannabis qui me montait à la tête. J'avais hâte de sortir d'ici. Je n'arrivais même pas à regarder Reizo dans les yeux. A l'aide d'un briquet, celui-ci décapsula l'une des bouteilles et la posa devant mes genoux en tailleurs. Il ouvrit la seconde avec ses dents et trinqua en les heurtant sans que j'aie eu le temps d'esquisser le moindre geste.

« Il faut qu'on parle, balbutiai-je.

— Bois un coup d'abord, ça va te réchauffer. Après seulement, je t'écouterai.

Il ferma les yeux et s'allongea sur le sol gelé de son logement. Transie de froid, je saisis la bouteille qu'il me tendait et fis couler un peu de boisson sur ma langue. Elle me sembla n'avoir aucun goût.

— C'est la dernière fois que je viens. Je suis avec Kensei. Oublie ce qu'il s'est passé, s'il te plaît. Tu m'as piégée et je pourrais te dénoncer.

— Il n'empêche que t'as facilement cédé, rétorqua Reizo en plissant ses yeux étirés.

— Tu m'as droguée ! Je ne veux pas de toi !

— Pourquoi ça ?

Je laissai échapper un rire et même ce rire me dérangea. Sur le moment, ce fut ma seule solution. Autrement, j'aurais fondu en larmes ou me serais égosillée en psalmodiant des informations qu'il aurait pu utiliser plus tard contre moi. 

Le coin de ses lèvres se retroussa : 

— Tu as l'air énervée, petite Lucie. C'est mignon. 

— Je ne gaspillerai pas mon temps avec toi ! Tu es sournois, prétentieux et purement odieux ! Surtout, je ne t'aime pas. Ce que tu as fait, je devrais déjà l'avoir signalé à la police.

— Mais tu ne l'as pas fait, et on sait tous les deux pourquoi.

— Qui te dit que je ne le ferai pas, finalement ?

J'espérai que mon coup de bluff marcherait. Malheureusement, Reizo ne trahit aucune réaction. Il ne paraissait pas prêter une oreille attentive à ce que je disais. Il porta le goulot de sa bouteille à sa bouche et la termina en quelques gorgées. Un rot s'en échappa. Quoique le mot était mal choisi car il ne semblait rien avoir fait pour le retenir

Puis il ouvrit un œil.

— Il est un peu tard pour regretter. Les choses sont faites.

— Justement. Je ne peux pas revenir en arrière. Garde le silence.

Il se redressa pour retirer sa veste étudiante.

— Je comprends. Tu ne veux pas que Kensei l'apprenne. C'est évident, fit-il en grattant son menton où poussait un bouc.

J'opinai, le regard plein d'espoir.

— Requête rejetée, déclara-t-il en lançant sa veste à côté de moi sur le matelas.

— S'il te plaît !

— Qu'est-ce que j'aurai, en échange ?

Je tressaillis :

— Tu ne peux pas accepter sans rien ?

— T'es stupide, soupira-t-il en faisant tourner sa bouteille entre ses doigts.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant