50. Éruptions et confessions de cœur

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Un peu plus tard dans l'après-midi, Kensei vint me rendre visite dans le secrétariat. Il semblait préoccupé.

« Lucie, je peux te parler ?

— Bien sûr.

— Tout le monde n'accomplira pas quelque chose de grandiose. J'imagine qu'à notre stade, on peut simplement apprécier les petits plaisirs de la vie.

— Ça se résume à ça, alors, l'existence ?

— Tu prends les choses trop à cœur. C'est pour ça que tu t'angoisses pour tout.

— Je ne m'angoisse pas pour tout. Seulement pour ce qui me tient à cœur.

Il soupira lourdement, posa les fesses sur le rebord du bureau. Il me scruta pendant un moment, le regard empreint de mélancolie, bien éloigné de la sérénité.

— Qu'est-ce qu'il y a, Kensei ?

Englué dans le doute, il se gratta l'oreille et demanda :

— Que je ne fasse pas d'études ne te pose de problème ?

— Pourquoi ça m'en poserait ?

Kensei haussa les épaules et leva les yeux au plafond. Je lus soudain une expression tragique sur son visage.

— J'sais pas... Tu insistes tellement pour qu'on fasse des démarches pour trouver une université. Mais tu me fais rire... J'ai entendu dire qu'en France, la Fête du Travail était un jour de congé !

— C'est vrai...

— Tu t'en fais trop pour notre diplôme. On l'aura et sinon, de toute façon, si on sait qu'il y a des certificats d'études, il n'y en a pas pour l'intelligence.

— ...

— Même si on arrive à intégrer ce type d'instruction, ce ne sera qu'une petite université privée. Entrer dans le public est perdu d'avance.

— Je ne parle pas nécessairement de l'université... Mais d'une formation, une école ou un emploi pour assurer votre avenir.

— Et pour moi ? Qu'est-ce que tu voudrais ?

— Que tu ailles vers ce que tu aimes. La mécanique, si j'ai bien compris. Je ne vois pas pour quelle raison tu me demandes ce que je veux pour toi.

Son œil s'assombrit. L'ombre demeura emprunte sur son visage. Il hésita et finalement parla d'une voix morne.

— Le fait de ne pas avoir le même statut social. Ce genre de choses. On sait qu'on n'est pas du même monde. Au bout d'un moment, à force de remarques, peut-être que ça t'incommodera... Si on reste ensemble jusque-là.

Alarmée, je le cherchai du regard :

— C'est évident, que nous restions ensemble.

Il sourit en coin.

— Dans ce pays, on qualifie les gens de gagnants ou de perdants en fonction de leur réussite sociale, de leur richesse.

— C'est aussi le cas en France et dans d'autres pays.

Kensei secoua un peu la tête.

— Ne t'en fais pas, dis-je d'un ton que j'espérais rassurant. Ce qui est important pour nous est que nous sachions que cette distinction n'est pas judicieuse.

— Admettons. Mais pour le reste ?

— S'il y a en toi une qualité indéniable, c'est bien la curiosité.

— Et ?

— Si tu es curieux, alors tout est à ta portée.

Un grondement s'éleva dans sa gorge :

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant