[Narration : Minoru]
Je tordis le nez pour enrayer l'émotion qui me submergeait. Je ne pleurais pas comme ça, pas si facilement ! Je devais être digne. Miike ne s'était pas arrêté de trier. Lui, qui d'habitude parlait très peu, fit encore l'effort d'ouvrir la bouche.
« Minoru, l'amour c'est comme une clope. Ça crame les doigts, t'asphyxie les poumons, te monte au ciboulot, t'aveugle, te fait chialer. Toutes ces souffrances pour finalement partir en fumée. Tu n'as plus qu'à attendre que ça passe... A moins de crever, bien-sûr.
Je penchai la tête de côté.
D'un geste sec, Miike planta une clope entre ses lèvres et ajouta :
— Les gens te prennent avec tes pincettes mais situ traînes dans ce placard avec moi, c'est parce que tu veux entendre la vérité. Tes états d'âme, personne ne s'en préoccupe. Agis ».
Une intonation plate, sans me regarder, des mots simples mais le tout fut efficace. Je clamai que j'allai me reprendre en main.
Je ne croiserai jamais plus une nana comme Lucie. Je n'aurais pas cette chance. Je ne pouvais pas la laisser.
Les êtres extraordinaires vivent dans des enveloppes ordinaires. Plus vous approfondissez votre relation avec eux et plus vous réalisez à quel point votre œil peut avoir une mauvaise vue. Lucie était de ces êtres : c'était elle qui me rendait la vue. Elle stimulait en moi un espoir que je pensais éteint : l'espoir d'échapper à ma propre image, de changer ma condition, l'espoir d'être moi, enfin.
Je ne supportais plus de me mentir à moi-même, de faire ressortir mes défauts en espérant qu'un jour on les prendrait pour des qualités. Je ne voulais plus me faire chambrer parce que j'avais enfin le courage d'affronter la réalité.
Au-delà des nouvelles perspectives de vie que Lucie suggérait, elle me fascinait. À Nintaï, elle portait ses longs cheveux attachés. Elle souhaitait se donner une allure stricte mais tirer sa crinière en arrière revenait à mettre en valeur son visage en forme de cœur, sa bouche sanguine et ses yeux bienveillants.
Malheureusement, je n'étais pas seulement attiré physiquement. Jusqu'à présent, jamais je n'avais ressenti l'envie de chérir une personne, de m'abandonner à elle. Mais Lucie était à une autre, le seul contre qui je ne pouvais rien. Moi, je continuais d'être le fanfaron de service. Lucie, c'était mon cadeau du ciel ; simplement, je l'avais mal réceptionné. C'était Kensei qui l'avait attrapée le premier. Je me disais qu'il aurait fallu que je règle ça avec lui pour réparer cette erreur de livraison...
J'eus envie de rugir et de vomir mes tripes. Un amour non partagé, c'est une flèche qui a raté sa cible. Il ne me restait qu'à rectifier le tir.
A cet instant, Miike me tendit un cliché qui avait retenu son attention.
Heurté, la poitrine écrasée, j'inspirai profondément, sortis dans le couloir et me jetai de toutes mes forces du haut des escaliers.
*
[Narration : Lucie]
Je m'attelai au courrier, qui était un véritable rituel automatisé : imprimer la lettre, la plier en trois parties égales, tamponner l'enveloppe avec le seau de l'établissement, la timbrer en fonction du poids, placer la lettre dans l'enveloppe en rendant visible le nom et l'adresse dans l'encart, refermer le tout, bien empiler chaque lettre sur le tas droit pour ne pas que Madame Chiba pique une crise de maniaquerie avant qu'elle les dépose le lendemain matin dans la boîte aux lettres.
Je dépouillai le nouveau courrier, triai quelques feuilles, et tombai sur une enveloppe dont le papier intriguant n'était frappé d'aucun sceau. Je l'ouvris et eus un mouvement de recul dans mon siège.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Ficción GeneralLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...