32. Au Cœur de l'affrontement

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Des caïds me masquèrent la vue. 

J'étais aux premières loges d'un spectacle d'une bestialité innommable. Les coups pleuvaient dans le déchainement de violence. Les voyous rugissaient à s'en arracher les cordes vocales : c'était comme s'ils avaient accumulé toute leur énergie depuis qu'ils étaient nés et que les canalisations venaient de sauter.

La bagarre ne se déroulait pas comme au cinéma, où les adversaires avaient le temps de prendre et de donner des coups. Les gaillards étaient habités d'une sorte de furie qui ne faisait durer chaque altercation que quelques secondes. Une droite au menton ou dans le nez et l'opposant se retrouvait à terre, semi-conscient. Seul les plus forts parvenaient à réellement échanger des coups.

Si la technique de combat de Nino relevait de la rapidité et de la précision de ses attaques, celle des « Men in Grey », Tennoji et Jotaro, s'apparentait d'avantage à celle d'une couverture mutuelle. Elle était d'ailleurs bien rôdée : adossés, les « Men in Grey » attendaient dos à dos que les adversaires affluent sur eux. Les coudes repliés sur leurs visages pour se protéger, ils lançaient des uppercuts à la moindre ouverture. Ils prenaient soin de ne pas rester statiques trop longtemps pour ne pas se retrouver submergés. Dès que les corps s'entassaient, menaçant d'entraver leur cheminement, Tennoji et Jotaro faisaient quelques pas. Ils modifiaient alors leur manière de combattre, devenant des broyeurs de mâchoires ambulants, ni plus ni moins. Deux contre un n'était certes pas un procédé équitable mais ce genre de considération ne comptait pas.

Les Men in Grey ne furent pas les seuls à se bagarrer en duo. Non loin de là, deux types du lycée Kawasaki se frottèrent à Mika, inopinément détaché de Kensei et de Mukai. Mika se fit ensevelir par ses ennemis, l'un lui ayant sauté sur le dos, l'autre ayant entrepris de l'agresser par devant. Mika se laissa tomber en arrière pour écraser le premier. Une fois relevé, il s'en prit à l'autre et riposta singulièrement, avec une sorte de fulgurance répétitive, toujours au même endroit. Acariâtre et obstiné, l'Hypocondriaque lui décocha un direct dans le nez, deux coups à l'abdomen, deux dans les côtes, en terminant par les tibias. Le type s'écroula au moment où le premier cogna Mika à la tête avec une batte de baseball.

Takeo, identifiable à son immuable chemise à fleurs de toutes les couleurs, accourut lui porter secours. C'était la toute première fois que je voyais Napoléon se battre dans ces conditions et ce n'était pas rien : il était un Etna en ébullition. Ses frappes étaient dévastatrices : il ne fit qu'une bouchée des assaillants de Mika et remit celui-ci, complètement sonné, la tête en sang, sur ses jambes tremblantes.

Napoléon mélangeait plusieurs disciplines. Son jeu de jambes était rapide, ses gestes vifs, précis et puissants. Il attaquait aussi bien qu'il se défendait et ses réflexes étaient édifiants. N'ayant soudain plus d'adversaire à qui faire goûter ses uppercuts, il fendit la foule sans se retourner sur les râles de souffrance qu'il suscita.

Tout allait très vite. Les uniformes noirs de Nintaï et bruns de Kawasaki étaient comme floutés.

Soucieuse, je cherchai du regard Ryôta, qui fit face à Kô. Ce dernier eut toutes les peines du monde à se protéger d'un adversaire qui, agile et bondissant, s'écarta des conventions du combat, attaquant de tous côtés à la fois, faisant jouer poings, coudes, genoux et pieds. Les assauts de Ryôta furent nerveux mais bien placés.

L'Idol était, parmi la faction des troisièmes années, le moins facile à toucher. Pour preuve, la grosse figure blanche et flasque de Kô fut rapidement en bouillie. Sous les contusions, du sang dévala les pentes de son triple menton. Kô devint fou, il ne pouvait lui échapper. La différence de niveau entre eux ne faisait aucun doute. Pour apaiser l'éminence de gelée, Ryôta acheva sa ronde irritante en lui portant un grand coup de pied à l'entre-jambe. L'homme-gelée se plia en deux, la bouche béante dans un cri muet, pour s'aplatir de toute sa corpulence sur le sol poussiéreux. L'Idol le retourna sur le sol et le frappa à répétition au visage, faisant valser sang, salive et dents. À cette vision, je rendis mon déjeuner. Le témoin du camp adverse me jeta un coup d'œil. Engluée de vertige, je m'éloignai à quatre pattes de mes régurgitations et me rinçai la bouche avec l'eau de ma bouteille en plastique.

Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant