[Narration : Lucie]
Cette fois, le coup de fil à Aïko dura le temps nécessaire pour prendre de ses nouvelles : son couple allait mal, je n'insistais pas. Je n'insistai pas et lui narrai les derniers évènements en date de l'établissement Nintaï qui m'avaient empêchée de manger de la journée.
« C'est de pire en pire, confirma Aïko.
— Je pensais que tu allais me faire la morale.
— Tu sais te débrouiller, tu es plus intelligente que moi. Actuellement, j'en suis au point où j'irais bien demander un relaxant à l'un de tes amis de Nintaï.
Je fus soufflée de sa répartie. Aïko, prononcer des mots pareils ?
— Ta vie est-elle si dure ?
— Je te retourne la question. Où tu en es ?
C'était Aïko : elle s'échappait des sujets qu'elle avait proposés pour en passer à d'autres lorsqu'ils commençaient à l'embarrasser.
— Où j'en suis ? dis-je en écho tout en cherchant une réponse. Comme d'habitude, je jongle.
— Mis à part ton manque de chance lié à Nintaï, beaucoup d'étrangers imaginent pouvoir rester au Japon en pensant qu'ils ont déniché leur Disneyland. Crois-moi, j'en ai vu passer ! J'en ai accompagnés... Et raccompagnés à l'aéroport.
— Je ne veux...
Aïko me coupa la parole et poursuivit sur sa lancée :
— Au début, tout va bien. Plus tard, ils ouvrent les yeux. C'est encore moins commode lorsque des enfants sont entre-temps nés de la désillusion.
— Je n'ai jamais perçu le Japon comme étant le pays des merveilles mais plutôt comme un endroit dans lequel je pourrais peut-être me sentir bien. En France, des réflexions m'ont fait comprendre que j'avais un comportement... Qui ne collait pas. Si on met les nintaïens de côté, les gens qui parlent fort m'effraient, j'aime les marques de politesse et le silence contemplatif, m'excuser pour tout me semble normal...
— Tu as trouvé ta place, ici ?
— Nous en reparlerons dans quelques années mais à l'heure qu'il est, jamais je n'ai été aussi à l'aise dans ma peau.
— Lucie, tu es décidément une femme étrange Moi, je donnerai tout me trouver en France ».
Nous échangeâmes encore quelques mots et elle raccrocha.
*
[Narration : Kensei]
En cercle et fumant clopes sur clopes, nous patientions tous devant l'entrée du Black Stone. Nous attendions Lucie. Elle avait un devoir en retard et travaillais dessus comme une acharnée depuis avant-hier.
J'en étais à ma troisième Marlboro. Pour ne rien arranger, Mika était déjà ivre en arrivant. Ses yeux dansaient dans ses orbites et son état ne s'améliorerait pas. Pour le moment, je l'avais obligé à s'asseoir sur le trottoir.
Les lumières des néons d'enseignes et des réverbères mettaient en évidence le visage boursouflé de Ryôta. Sa lèvre était entaillée par une vilaine coupure. Ça lui faisait une grosse bouche de lippu. Il râlait qu'il ne pourrait plus embrasser avant des lustres et qu'il devrait recoudre des boutons à sa chemise canadienne. À la demande de Mika, il exhiba le petit trou sur son crâne duquel une touffe de cheveux décolorés avait été arrachée. L'instant d'après, il se vanta d'avoir asséné le dernier coup à Kô, dont le triple menton, selon ses dires, s'était creusé comme de la gelée. Le leader de la 1-C avait déguerpi des escaliers en tremblotant comme un pudding géant.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Fiksi UmumLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...