Le undokaï se déroula sans incident. Kensei et moi avions raté le défilé inaugural et la course de relais mais assistâmes à un parcours de cinquante mètres où Tomomi s'illustra en arrivant seconde. Kensei fut fier comme un paon.
Chaque classe avait préparé une activité : il y eut des flûtistes, des démonstrations de gymnastique et de danse, une compétition de cheerleading, une joyeuse bataille de cavalcade, un jeu où il fut question de faire tomber un grand bâton, des pierre-feuille-ciseaux et même du basket.
Il ne s'agissait pas d'une compétition. Les enfants étaient certes habillés par équipe mais ils devaient honorer leurs parents, contrairement à ce que revendiquaient les instituteurs. Selon ces derniers, les élèves ne se voyaient pas reconnaître de compétences individuelles mais simplement la satisfaction d'avoir accompli quelque chose en groupe. L'important était de rassembler tous les participants pour partager une expérience et maintenir l'harmonie globale.
Les enfants étaient guidés par les sifflets des maîtresses qui les avaient entrainés et les avaient fait répéter pendant des semaines. Autant dire que c'était un évènement cauchemardesque pour les moins sportifs. Toutefois, ils apprenaient en même temps ô combien il était difficile de travailler à plusieurs. Peut-être était-ce ce genre d'activités assorties de règles qui forgeait l'esprit d'équipe nippon...
Dans tous les cas, je ne cessais de comparer les enfants à leurs parents. Ceux-ci paraissaient tellement ennuyeux ! Massés en rang, regardant les enfants s'égayer de la compétition sans trahir de véritable émoi. Ces adultes-là semblaient désenchantés, terrassés par une force invisible. Non par la chaleur mais ils donnaient l'impression d'avoir envie d'être ailleurs. Pourquoi devenir adulte devait-il rimer avec isolement ? Peut-être en étais-je déjà une ou me transformais-je mais il me sembla que les adultes étaient terriblement fragiles : toujours en quête des autres, toujours en quête d'acceptation, toujours en quête d'un destin magnifique.
Les enfants eux, me paraissaient plus forts. Ils créaient dans leur esprit ce destin magnifique et le matérialisaient dans la réalité. Je devais me souvenir qu'il ne me faudrait jamais déranger un enfant qui jouait, il pourrait être en train de m'imaginer en super-héroïne, l'héroïne que je rêverais d'être dans l'infamante vie réelle.
Après avoir gagné sa course, Tomomi m'offrit un origami. Je fus émue du geste, Kensei peut-être davantage. Elle repartit vite dans les bras de sa mère pour s'essayer à un chamboule-tout. La petite avait l'espoir de remporter une poupée de Prince Charmant.
Je me tournai vers Kensei qui mettait de l'ordre dans ses cheveux emmêlés par la main de sa petite-sœur.
« Quand j'étais enfant, dis-je, je ne supportais pas les Ken. Du coup, pour avoir un homme, j'ai coupé les cheveux d'une Barbie que je trouvais laide et lui ai dessiné une barbe avec un stylo. J'ai décidé qu'elle jouerait le rôle de l'homme.
Je marquai une pause.
— En gros, quand j'y repense, j'avais une Barbie transsexuelle.
Kensei me contempla avec horreur.
— S'il te plaît, ne raconte pas ça à ma sœur.
Je toussotai en souriant intérieurement et lui demandai si l'établissement Nintaï organisait des gakuseisai.
Kensei roula des yeux.
— Un festival à Nintaï ? Tu plaisantes ? Tous nos ennemis rappliqueraient, histoire d'en profiter pour venir foutre le bordel dans l'établissement ! ».
Rentrés à mon appartement, Kensei entoura mes épaules de son bras, en faisant attention à ne pas trop peser sur moi. L'instant d'après, il m'attira contre lui et mit son nez dans mes cheveux. C'était le début de soirée, la température était douce, mon studio sentait bon la lessive. Je m'interrogeai sur ce que nous allions manger.
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Octopus - Tome 3 : La Pieuvre a le sang bleu
Ficción GeneralLe filet autour du trafic de drogue à Nintaï se resserre. La tension monte et la loyauté entre les factions est mise à rude épreuve. Lucie se lance à corps perdu dans les abysses des relations torturées entre les étudiants et s'intéresse de près aux...