Elle put finalement rentrer au château quelques jours après s'être réveillée, mais était persuadée de n'être restée inconsciente qu'une nuit, au lieu des trois jours qu'elle niait en bloc. Elle était têtue. Son hématome mauve recouvrait un tiers de son front et son sourcil gauche. Depuis, elle portait sa mèche beaucoup plus lâche, quitte à ce que cela lui cache son bel œil.
"Caporal, pourrais-je vous parler quelques instants, s'il-vous-plaît?"
Me demanda-t-elle lorsque j'étais dans mon bureau. Je hochai la tête et elle s'approcha.
"Vous rappelez-vous de quand j'ai dit que Gunther, Erd et Auruo allaient forcément me railler, à propos de ma blessure?"
Je relevai immédiatement la tête, près à les massacrer.
"L'ont-ils fait?
- Non, et c'est cela que je trouve suspect. Ils refusent d'aborder le sujet."
J'y étais peut-être allé un peu fort lorsque je leur avais cordialement et doucement, à ma manière habituelle donc, demandé de ne pas le faire.
"Ils ont sûrement deviné que tu n'aurais pas aimé, c'est tout."
Expliquai-je. Avant de sortir du bureau, elle me lança un sourire en coin.
"Je ne vous connais pas beaucoup, mais je ne suis pas assez stupide pour penser que vous n'y êtes pour rien."
Je replongeai dans mes papiers, le cœur un poil plus léger. Elle rit doucement quelques secondes et mon cœur rata un battement. Son rire ressemblait à du cristal qui ne cessait jamais de résonner dans ma tête. Je m'en voulais encore qu'elle se soit blessée parce que je n'avais pas réagi assez vite, mais elle ne semblait pas du tout me le reprocher. Je me rendis compte à quel point elle souriait. Elle souriait beaucoup plus souvent qu'avant. Dans l'après-midi, je décidai d'aller m'occuper des chevaux. Je restai tellement au château pour être là en cas de problème que je n'allais plus voir Artémis. Je m'approchais de l'écurie lorsque j'entendis du bruit. On s'occupait déjà des chevaux, apparemment. Je jetai un coup d'œil à travers la fenêtre. C'était Petra. Elle caressait Horus, son habituelle expression de calme et de douceur sur le visage, lorsqu'elle s'immobilisa et fit une grimace. Elle porta ses mains sur sa tête et s'assit dans un coin. Je l'entendais forcer sa respiration pour souffler calmement.
"Fais chier... Je pensais qu'il y en aurait de moins en moins..."
Maugréa-t-elle, les dents serrées. Elle avait mal à la tête. Très mal, si je me fiais à son visage complètement crispé. J'entrai vivement. Lorsqu'elle me vit elle se redressa et me sourit.
"Oh, caporal, vous aussi vous voulez passer du temps avec ces adorables bêtes? Je vous laisse, j'allais y aller, de toute façon..."
Dit-elle en chantonnant. Elle se leva et s'apprêtait à partir. Lorsqu'elle passa à mon niveau, je l'arrêtai en lui prenant le poignet.
"Que faites-vous?!"
Demanda-t-elle, surprise. Je lui appliquai mes doigts contre ses tempes et les massai lentement en faisant des petits cercles.
"Imbécile, lorsque tu as mal, il faut venir me voir au lieu de te cacher.
- Je n'ai pas mal."
Mentit-elle. Elle ne mentait pas toujours très bien. Je fis la moue, pas convaincu.
"Combien de fois as-tu ces migraines par jour?
- Pas souvent, il n'y a rien de grave, caporal!
- Combien?
- ... Trois à six fois par jour, je dirais. Mais ce ne sont que des migraines, il n'y a aucun problème, je vous l'assure.
- Ce n'est pas à toi de juger à ma place de ce qui est grave pour moi ou non."
Je me tus instantanément, repensant aux mots que je venais de prononcer. "Grave pour moi"... Elle rougit, se rendant compte de ce que j'avais dit.
"Bref, tu dois m'en parler.
- Ou sinon quoi?
- Ou sinon je fais un rapport pour dire que tu n'es plus apte à combattre ni à survivre, mais ils ne te garderont pas longtemps, tu peux en être certaine.
- C'est injuste!
- Je me fous de ce qui est juste ou injuste. Si lors d'un combat tu es déconcentrée par un mal de tête et te fais bouffer alors que j'aurais pu l'empêcher, tu penses que je ressentirais quoi, moi?
- Et bien... Il vous faudra trouver un autre soldat pour votre escouade."
Répondit-elle.
"Hein?
- Pour garder le même nombre de soldats.
- Tu te rends compte de ce que tu dis?!"
Lui écriai-je à la figure. Que se passait-il? Je n'arrivais pas à me calmer. L'image de Petra décédée s'était mise à tourner en boucle dans ma tête, et je n'arrivais pas à l'en dégager.
"Mais je suis juste un soldat, bon sang! Ce n'est pas la peine de vous mettre dans un état pareil."
Dit-elle, ne voyant pas ce qu'elle avait dit de mal. Je décidai de prendre le problème à l'envers.
"Que ressentirais-tu si je décédais juste devant tes yeux alors tu aurais pu faire quelque chose?"
Elle recula de quelques pas. Ses yeux étaient écarquillés.
"Cela-... Cela n'arriverait jamais."
Souffla-t-elle.
"Et si cela arriverait?
- Je... Je... Ne veux pas."
Je la lâchai lentement, sentant que j'étais allé trop loin. Elle me regardait en tremblant. Elle croyait qu'elle était juste une soldate, qu'elle était juste "Petra", mais... Le fait qu'elle soit Petra faisait justement d'elle une personne... Une personne... Que j'aurais dû mal à voir mourir.
"Même avec les bombes de Hansi, je ne vois pas l'humanité gagner si tu n'es pas là."
Lui murmurai-je. Elle me fixa un instant. Un tiers de son front était mauve, tout le reste de son visage était rouge. Dieu que j'avais l'envie de lui déposer un baiser sur sa ronde joue écarlate puis de la serrer dans mes bras pour sentir ses cheveux doux sentant la Réséda.
"Bref, lorsque tu as mal à la tête, tu viens me voir au lieu de te cacher."
Elle hocha la tête, gênée. C'était là l'origine de ses sourires crispés, elle souriait pour cacher ses maux de tête. Elle partit rapidement tandis que je la regardais s'éloigner de moi.
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Et si y avait-il un espoir? (Romance Rivetra)
Hayran KurguDepuis qu'elle était soldate, Petra avait toujours refusé de dépasser une certaine limite avec ses camarades, et surtout avec son supérieur, le caporal Levi. Consciente de sa vie effaçable d'un claquement de doigt titanesque, elle était restée droit...