5 / HEATHER

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  En sortant du bar, j'attrape mon téléphone dans mon sac et appelle un Uber. Je n'ai vraiment pas la force de prendre le métro à cette heure-ci. La journée a été épuisante. Mon père a eu un problème avec les fournisseurs de viandes, ce qui fait que nous avons réduit notre carte et dû annuler plusieurs livraisons à emporter. Une bonne journée de merde comme on dit. Et pour couronner le tout, Sam travaille toute la nuit. Je vais donc me coucher sans elle. Nous ne vivons pas ensemble, mais ça fait bien longtemps que nous n'avons pas passé une nuit l'une sans l'autre. Soit elle dort chez mon père, soit je dors chez elle.

  Une fois dans le uber, je repense sérieusement à sa proposition. Si nous vivions ensemble, tout serait beaucoup plus simple. Plus besoin de se demander où dormir le soir, plus besoin de balader mes affaires chez elle. Mais surtout, ce serait la première fois que je vivrais en couple. Une sorte de départ dans la vie adulte. Mais mon père serait tellement malheureux... Depuis qu'il a quitté ma mère et qu'on est parti de l'Angleterre, il n'a rencontré personne. Et je m'en voudrais de le laisser seul. Mais bon, on travaille ensemble, ce n'est pas comme si je le quittais vraiment. Je ne passerai juste plus mes nuits à la maison.
  Mon père est allongé sur le canapé, la bouche grande ouverte et une canette de bière à la main qui manque de se renverser sur le tapis que je lui ai acheté en arrivant à Paris. Je tente de le réveiller, mais rien n'y fait, son sommeil est profond. Je lui retire sa boisson et le couvre d'un plaid.
  Ma chambre est aussi froide qu'un rayon de supermarché. Je lève les yeux vers ma fenêtre et me tape le front avec la paume de ma main. Quel genre d'abruti oublie de fermer sa fenêtre, après avoir voulu aérer deux minutes le matin, un premier janvier ? C'est moi. Une fois les volets fermés, je me glisse dans mon lit tout froid. Je risque de sombrer d'une minute à l'autre. J'en profite pour envoyer un message à Sam.

BON COURAGE MON AMOUR, JE PENSE FORT A TOI. BENJAMIN ÉTAIT SUPER CONTENT DU CADEAU. JE T'AIME.

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  Mon père rentre en trombe dans ma chambre, mon téléphone n'a pas sonné.

- Tu vas être en retard pour ton entretien ! crie-t-il paniqué.

  Je me lève d'un bond, enfile un tee-shirt et un jean délavé. Je me jette dans la salle de bain me brosser les dents et me donner un coup de peigne.

- Si à onze heures tu n'es pas au resto, prend ton après midi, je ferai appel à Mégane pour te remplacer.

  Mégane est une serveuse qui fait des extras pour nous. C'est-à-dire qu'elle vient bosser quand moi je ne peux pas, en fait. C'est comme qui dirait... mon bouche-trou. Elle est très gentille, mais depuis qu'elle drague mon père j'ai un peu de mal à la supporter. Non pas que ce serait super pour mon père de sortir avec quelqu'un, mais elle a juste presque mon âge. Je ne veux pas pour belle-mère une fille qui pourrait être ma sœur.

- T'inquiète, je serai là avant.

  Mon rendez-vous est à 9 h 30, en général un entretien ne prend pas plus de trente minutes.
  En arrivant devant un grand immeuble haussmannien, mon estomac se tord. Le stress commence à monter. Aucune raison d'avoir peur, je sais ce que je dois dire par cœur. Je sonne à l'interphone indiquant le nom de la production. Un bip retenti et la porte s'ouvre. Je n'ai même pas eu le temps de me présenter.
  Une fois à l'intérieur une jeune femme brune - vraiment très belle - et aux yeux chocolats, me fait signe de patienter dans le canapé à côté de la porte d'entrée. Je m'y installe et sens un vent froid passer sous la porte. Ce n'est pas vraiment le meilleur endroit pour attendre. Ma gorge est sèche. J'ai beau déglutir, j'ai l'impression que c'est pire.
  Mon objectif n'est pas de travailler toute ma vie dans le restaurant de mon père, c'est pourquoi je passe des entretiens d'embauches dans des productions de cinéma. J'adore regarder des films et si je peux participer à ce qui se passe derrière la caméra ce serait un rêve. Je n'ai aucune expérience professionnelle, mais au lycée j'avais choisi l'option cinéma, j'ai donc appris un tas de choses sur l'histoire du cinéma, sur comment produire un film et gérer des budgets.
  Dix minutes plus tard, je suis toujours assise dans ce foutu canapé. Je lance des regards inquiets à la fille de l'accueil, mais elle est trop occupée sur son téléphone. J'en profite donc pour regarder le mien.

LA NUIT A ÉTÉ LONGUE. JE CROISE LES DOIGTS POUR TOI, TU VAS TOUT DÉCHIRER. ON SE VOIT CE SOIR MA STAR. JE T'AIME.

SOMETIMES (you bet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant