12 / EDEN

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  Heather ? Ce n'est pas très français comme prénom. Mais c'est plutôt joli.
  Je ne sais pas pourquoi je suis soulagé qu'elle m'ait envoyé un message. Peut-être parce que mon défi prend forme, ou parce que je n'avais absolument rien de prévu ce soir et que j'ai très envie de me bourrer la gueule.
En passant la porte du bar, je la vois assise au fond. Une bière est déjà posée sur la table, elle griffonne dans un carnet. Au moment où elle m'aperçoit, elle le referme immédiatement. Ses joues commencent à rosir et elle se met à bégayer pour me dire bonjour.

- Ça fait longtemps que tu es là ?

- En fait j'habite au-dessus, donc je suis descendue après t'avoir envoyé le message.

  Elle baisse la tête et ses joues sont encore plus rouges. Elle n'a vraiment pas l'air à l'aise.

- Et donc... pourquoi m'as-tu envoyé ce message ?

  J'essaye de capter son regard, mais elle continue de fixer sa bière.

- Je ne sais pas trop... J'ai franchement hésité, après la fois où tu m'as clairement insulté, je ne pensais pas te reparler, mais je pense qu'on a tous besoin d'une seconde chance.

- Moi ? Je t'ai insulté ? dis-je surpris.

  Je n'ai aucun souvenir d'avoir pu l'insulter. La blesser oui, mais insulté, jamais.

- La première fois qu'on s'est vu tu as sous-entendu que j'étais une pute, puis "dégueulasse" et quand tu es venu au resto, c'est à peine si tu ne sifflais pas "salope" entre tes dents, en m'arrachant les sacs des mains.

  Elle n'a pas tort, j'ai vraiment voulu la traiter de salope. Mais je me suis retenu.

- Je t'ai dit que je manquais de tact... Et je suis sincèrement désolé si je t'ai blessé. À plusieurs reprises.

  Elle chuchote "deuxième chance", les yeux toujours rivés sur ses mains. Elle a vraiment l'air timide. Je ne sais pas gérer les gens comme ça, moi. La plupart des filles que je rencontre sont très extraverties et feraient tout pour qu'on les remarque. Ce n'est pas le cas d'Heather. Si elle pouvait se cacher dans un trou à cet instant, elle n'hésiterait pas.
Je ne sais absolument pas quoi lui dire, sa gêne est contagieuse. Je ne sais pas comment briser le silence. Je tourne les yeux et observe le bar dans l'espoir de trouver un objet, une personne ou n'importe quoi qui puisse me faire réfléchir à un sujet de conversation. Mais elle ouvre la bouche avant moi.

- Tu connais Benjamin depuis longtemps ?

  Ouf, merci.

- Depuis le lycée. C'est mon meilleur pote, on a fait toutes les conneries possibles et inimaginables ensemble. C'est un peu comme mon frère.

  Un frère qui s'est tapé sa sœur. Mon Dieu, sortez-moi cette image de la tête.
  Elle me regarde fixement mais n'enchaine pas. C'est de loin le rendez-vous le plus bizarre que j'ai eu de ma vie.

- Tu m'as dit que toi, tu le connaissais par le biais de ta copine c'est ça ?

  Autant essayer de rentrer dans le vif du sujet.

- Ouais c'est ça. Mais je ne l'ai vu que deux ou trois fois. Donc je ne le connais pas vraiment.

  Elle se triture les ongles, j'ai l'impression qu'elle va se mettre à pleurer de stress à tout moment. Peut-être que si l'on parle de sa vie, elle s'apaisera. En général, parler de soi apporte un certain confort, on n'a pas besoin de réfléchir.

- Ça fait combien de temps que tu es avec ta copine ?

- Un an.

  Ses épaules commencent à retomber. Je crois que je suis dans la bonne direction, même si j'aurais préféré ne pas mentionner sa meuf. Une mèche folle lui tombe devant les yeux, elle la relève d'un geste ralenti.

- Vous vous êtes rencontrée comment ?

  Je suis vraiment curieux de savoir. En entendant ma question, ses yeux s'agrandissent et un sourire commence à se former sur ses lèvres.

- Elle était venue manger au restaurant où tu es venu l'autre jour. J'y travaille avec mon père. À l'instant où elle est rentrée dans la salle, mon cœur s'est emballé. J'ai honte de l'avouer, mais j'ai fait comme toi. Je lui ai laissé mon numéro de téléphone sur un papier et elle m'a appelé à la seconde où elle est sortie.

  Elle s'est mise à me confier cette anecdote comme si nous nous connaissions depuis des lustres. Parler de sa vie privée n'est pas une source de stress. C'est une bonne chose.

- Ce que tu n'as pas fait avec moi.

  Maintenant qu'elle à l'air plus détendue, autant tester des choses.

- Parce que tu n'es pas une fille, répond-elle en riant.

  Le silence revient plus vite que je ne l'imaginais. Je lui propose de finir sa bière et de sortir prendre l'air. Le bar est beaucoup trop bruyant pour réussir à tenir une conversation. Et si je ne me trompe pas, vu son comportement, le fait d'être entourée d'inconnus la dérange vraiment. Elle acquiesce à ma proposition et me suit à l'extérieur.
Je ne sais pas du tout où l'on va, mais on y va. Il fait atrocement froid en ce moment, je pense qu'il ne va pas tarder à neiger. Je déteste la neige, c'est beau quand ça tombe en pleine nuit, mais quand tout le monde part travailler au petit matin, ça devient de la boue dégueulasse, tu risques de glisser et de te péter une jambe à tout moment. Mais surtout, tout le monde devient con.
Heather a tout prévu, elle est emmitouflée dans une grosse doudoune violette et porte de grosses bottes bleues claires. Je ne sais pas d'où vient cette fille, mais son style est vraiment particulier. Au moins, elle ne doit pas avoir froid.

SOMETIMES (you bet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant