SOMETIMES (you bet)

20 / HEATHER

J'observe Eden, sa colère redescend. Sam l'a vraiment énervé. Elle n'a pourtant rien dit de mal, mais j'ai bien vu que son regard en disait long sur ce qu'elle pensait de lui, et il l'a très bien vu aussi. Je lui adresse un petit sourire et me rue vers Sam avant qu'elle ne parte faire quelques courses. Je l'attrape par le bras et elle manque de tomber en arrière.

- Il se passe quoi avec Eden ?

- Rien, répond-elle sèchement.

J'appuie mon regard dans le sien pour lui faire comprendre que je ne suis pas dupe.

- Je n'aime pas qu'il te tourne autour.

J'éclate de rire. Sam est jalouse d'un mec.

- Mais n'importe quoi. Il ne me tourne pas autour.

- Ce mec tourne autour de toutes les meufs, Heather.

- C'est juste un ami. Point.

Elle se tourne vers la porte d'entrée et sort en compagnie de Lola qui l'attendait. La grande blonde me jette un regard noir mélangé avec un sourire narquois. Cette fille me fait vraiment froid dans le dos.
Je sens une main se poser sur mon épaule. Je pivote et me retrouve face à Eden qui me lâche son plus beau sourire.

- Il te reste de la pizza ? J'ai vraiment la dalle.

Je le raccompagne à la cuisine et enfourne une nouvelle pizza dans le four.
  Je ferme la porte de la pièce pour ne pas être dérangée. Enfin surtout pour qu'on ne vienne pas me voler mes parts de pizza. Je ne connais pas la moitié des gens présents, alors je ne vois pas pourquoi je partagerai ma nourriture avec eux.
  Eden s'installe à la table et sort un paquet de cigarette de son jean. Je ne supporte pas l'odeur de la fumée. Quand on est à l'extérieur ce n'est pas très grave, mais dans des endroits clos, ça m'étouffe.

- Ça te dérange pas de te mettre à la fenêtre pour fumer ?

- Ah oui, j'oubliais qu'on était chez toi.

En l'entendant prononcer ces mots, un frisson me parcourt le dos. C'est vrai, c'est chez moi maintenant. Enfin, chez nous. Ça fait bizarre de dire ça.
  Il se lève et ouvre la fenêtre, se penche sur le rebord et allume sa cigarette. Son mouvement est lent et je devine sa langue passer sur sa lèvre inférieure après avoir inhalé sa première bouffée. Ses cheveux, de dos, bouclent légèrement. S'ils étaient plus longs, ils le seraient sûrement. D'un geste nonchalant, il retire sa veste et se retrouve en tee-shirt. Je l'ai toujours vu avec un pull ou une veste, mais je n'avais jamais vu ses bras nus, qui ne le sont pas vraiment puisqu'ils sont remplis de tatouages.
  Il se retourne et je sens son regard se poser sur moi, mais je ne peux m'empêcher de reluquer tous ces dessins sur ses bras.

- T'as jamais vu un mec musclé ou quoi ? rit-il.

Aucun son ne sort de ma bouche. Toutes ces voluptés noires dansent. À première vue, on pourrait penser que tout est mélangé, sans cohésion, mais si on observe vraiment, tous ses traits noirs ont un sens. La plupart sont plutôt minimalistes, mais un énorme loup dessine son épaule gauche. C'est magnifique. En dessous on dirait que deux mains s'entrelacent les doigts, encore en dessous, une immense spirale part du centre de son avant-bras et finit derrière son coude. Sur le bras droit un arbre est dessiné sur le haut, laissant tomber des feuilles mortes jusqu'en bas de son bras. C'est hypnotisant.

- T'as fini de me mater ?

Cette question me sort de mes rêveries. Je ne le mate pas, je ne m'attendais simplement pas à découvrir cette facette de lui.

- C'est vraiment beau.

- On me le dit souvent, s'amuse-t-il.

Il finit sa cigarette et revient s'asseoir à la table. Au moment où il pose ses fesses sur la chaise à côté de la mienne, je bondis vers le four pour sortir la pizza. Sam avait probablement raison, il cherche peut-être seulement à coucher avec moi. C'est peine perdue pour lui.
  Je m'installe au bout de la table, le plus loin possible de lui. Je ne veux pas qu'il croit quoi que ce soit. Il se sert une part, la dévore en moins de dix secondes et se dirige vers le frigo pour en sortir deux bières. Il se rassied et du coin de l'œil je le vois m'observer avaler ma pizza. Il n'y a rien de plus gênant que quelqu'un qui vous regarde manger. C'est souvent dans ces moments-là qu'il vous reste de la sauce tomate sur le menton ou un morceau de salade entre les dents.
  Je repose ma part et me lève pour aller aux toilettes mais il me bloque le passage avec sa jambe.

- J'ai fait ou dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? poursuit-il.

- Non, pas du tout, je vais juste aux toilettes.

Il me fixe longuement puis retire sa jambe du passage. J'ouvre la porte de la cuisine et sens une odeur de cigarette dans le salon. J'y cours pour demander aux connards qui fument à l'intérieur de se mettre à la fenêtre ou de sortir.

- Roh ça va ! On va aérer, balance un pauvre type à l'autre bout de la pièce.

Voilà, je commence à être énervée. Je retourne vers les toilettes pour me calmer. Je ne veux pas que les gens me voient comme ça, surtout pour une histoire de clope. C'est complètement ridicule. Ils fumaient tous à l'intérieur avant que j'emménage. Je dois aussi m'adapter. Mais enfin merde, c'est pas eux qui dorment ici le soir quand même !
  En arrivant devant la porte des toilettes j'entends des gémissements à l'intérieur. J'hésite entre toquer pour les faire sortir ou attendre qu'ils finissent.
Je retourne chercher Eden dans la cuisine pour qu'il vienne jauger avec moi la situation. Il pouffe de rire en entendant les couinements à l'intérieur et toque violemment à la porte.

- Mais non ! T'aurais dû les laisser finir, dis-je en éclatant de rire.

- T'avais envie de pisser non ?

- Barrez-vous, crie une voix dans les toilettes.

Je reste de marbre. Je connais cette voix. Mon Dieu, faites que ce ne soit pas ça.
Je donne un grand coup dans la porte et fait exploser le verrou. Je retrouve Sam assise sur les toilettes, Lola est sur elle, à poil. Les doigts de Sam dans le vagin de cette blondasse de merde. Elles se tournent toutes les deux vers nous. Sam devient livide et relève Lola de ses genoux en une seconde. L'autre prend ses affaires et se cache le corps avec.

- Heather... chuchote Sam.

Elle se dirige vers moi pour me prendre la main. Une gifle part. Je n'arrive pas à me contrôler. Je n'ai jamais levé la main sur personne, mais mon corps a réagi autrement.

- Ne me touche pas, hurlé-je.

- Laisse-moi t'expliquer !

- Que quoi ? Que tu viens de me ridiculiser devant tous tes potes en organisant une soirée pour nous, pendant que tu niques cette pute dans les chiottes ? Que soi-disant tu étais parti faire des courses ?

La musique s'est arrêtée, la plupart des gens se sont attroupés autour de nous. Je ne supporte pas d'être observée de cette manière. J'ai l'impression d'être un animal en cage qu'on vient de piéger.
  Je l'observe avec dégoût, ses yeux se rivent vers le sol, elle ne sait pas quoi dire. Une trace blanche se dessine en dessous de sa narine. Je me décale pour regarder à l'intérieur des toilettes et vois un petit morceau de film plastique et une carte de crédit sur le rebord du lavabo. C'est un cauchemar.
  Je manque d'air, je cours le plus loin possible, attrape le premier taxi qui passe et rentre chez mon père. De toute l'histoire de l'humanité je ne pense pas qu'on est fait un emménagement et déménagement aussi rapide.

Je me jette sur mon lit et enfouis ma tête dans un oreiller pour crier. Je ne veux pas réveiller mon père, et je ne veux surtout pas lui expliquer la situation maintenant. Je n'en ai pas la force. Mon téléphone n'arrête pas de vibrer. Qu'elle aille au diable. Hormis le fait qu'elle m'ait trompé, elle m'avait promis de ne plus jamais prendre de cocaïne. Elle m'a bien baisé, c'est le moins qu'on puisse dire.