SOMETIMES (you bet)

13 / HEATHER

  Je ne sais absolument pas ce que je fous là. Qu'est-ce qui m'a pris de lui envoyer un message ? Je vois bien qu'il essaie de me mettre à l'aise, et je vois surtout qu'il se force à me poser des questions pour éviter un silence de mort. Je ne sais surtout pas pourquoi j'ai accepté de sortir dehors, je me pèle le cul. Il doit faire au moins -5 degrés. Lui aussi a froid. Ses lèvres commencent à devenir bleues et je crois entendre ses dents claquer.
Il rompt un énième silence en me demandant d'où vient mon prénom. C'est la question que tous les Français me posent. Je lui explique donc que ma mère est anglaise, et que depuis toujours elle est fan de Heath Ledger. Du coup pour faire original elle m'a donné son prénom féminin.

- Ta mère est anglaise ? Tu dois souvent aller en Angleterre.

- En fait, j'y ai toujours vécu. Je suis arrivée en France il y a deux ans. Je suis fraichement française.

  Il a vraiment l'air intéressé par mon histoire.

- Mais c'est bizarre, t'as pas du tout d'accent.

- Parce que je suis bilingue. Mon père est français. Je venais en France pendant les vacances pour voir ma famille, et je suivais des cours de français à l'école. Cette langue n'a aucun mystère pour moi.

  Il s'arrête et m'observe longuement... Dieu que c'est gênant.

- J'imagine que tu es immunisée contre le froid, rit-il.

- Bullshit. Chez moi, le froid est humide, ici il est sec. Je ne sais pas ce qui est pire.

  Je me surprends à rire de bon cœur. Il n'est finalement pas si terrible que ça. Il peut même se montrer très sympa.
Son téléphone se met à sonner. Il le regarde quelque seconde, hésitant à répondre. Il finit par décrocher. La discussion est brève, dix secondes plus tard la conversation est terminée.

- J'ai une soirée chez des potes... Il faut que j'y aille.

  Il se frotte les mains pour les réchauffer. C'est dommage, je commençais tout juste à passer un bon moment.

- Oh... Je vais te laisser alors.

- Ça te dit de venir avec moi ?

  J'écarquille les yeux. Pourquoi me propose-t-il de l'accompagner à une soirée ? Il sait que je ne connais personne.

- Non, t'inquiète, je commence à fatiguer, je vais aller me coucher. Et puis tu sais, les soirées avec beaucoup de monde c'est pas trop mon truc.

  Un grand sourire se forme sur son visage. Son regard devient très doux et plutôt séducteur. Qu'est ce qui lui prend ?

- T'es une fausse française ! Les filles d'ici adorent faire la fête, s'exclame-t-il en riant.

- J'ai beaucoup de choses à apprendre alors.

  Je lui adresse un franc sourire et marche à reculons pour annoncer mon départ. Nous nous séparons de la même manière. En me voyant partir en arrière, il décide de faire la même chose, ce qui donne un aspect plutôt ridicule à la scène.

  Une fois mon pyjama mis, je me faufile dans mon lit. Mon père n'est toujours pas rentré et Sam ne m'a toujours pas répondue. Et s'il lui était arrivée quelque chose ? Je tente de l'appeler, mais je tombe sur son répondeur. L'angoisse commence à me monter à la gorge. Je mets mon casque sur les oreilles, lance la première playlist qui arrive et monte le son à fond, histoire de penser à autre chose.
La musique m'énerve beaucoup trop. Je mets une playlist "piano", celle qui en général me fait sombrer dans un sommeil profond. Je suis tellement stressée, que ça ne sert à rien. En glissant mon doigt sur l'écran de mon téléphone pour trouver un jeu qui pourrait m'apaiser, je décide d'ouvrir Instagram. Je n'y vais jamais car je trouve ce réseau social trop prétentieux. Enfin, les gens qui l'utilisent le sont. Mais je sais que Sam y passe beaucoup de temps et poste toute sa vie. Peut-être qu'elle y a mis quelque chose ce soir.
BINGO ! Elle a mis une story. J'avais bien raison... Elle est à une soirée. La colère monte en moi. Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? Est-ce qu'elle a honte de moi ? J'aurais pu comprendre qu'elle veuille passer une soirée avec ses potes sans moi, je l'aurais laissé y aller. Mais elle ne m'a même pas prévenu. Elle ne se doute pas que j'aurais fini par le savoir, surtout quand elle poste ça sur les réseaux sociaux ?
Je me lève pour me préparer un thé, histoire de me calmer. Je prends mon téléphone et tente de la joindre une dernière fois. Fichu répondeur ! Tant pis, je lui envoie un texto.

C'EST GENTIL DE PRÉVENIR QUE TU ES OCCUPÉE CE SOIR. JE ME SUIS INQUIÉTÉE POUR TOI, ALORS QUE TU VIS TA MEILLEURE VIE. VRAIMENT, MERCI POUR ÇA !

  Des larmes se mettent à couler. C'est bien la première fois que je me sens délaissée et humiliée à la fois. C'est surtout la première fois que j'ose lui parler comme ça. Ils doivent bien rigoler de mon absence en tout cas. La fille "bizarre" ne va pas les gêner ce soir. Après tout, je m'en fiche. Je suis bien mieux chez moi que là-bas. Je commence à connaître Sam quand elle est avec ses amis. Elle ne m'aurait dans tous les cas à peine adressé la parole si j'y étais. Je préfère quand on est que toutes les deux, elle est tellement plus douce et attentionnée. Ce n'est pas la même personne quand elle est en présence de ses potes.
C'est sûrement de ma faute... Si seulement j'étais plus aimable et plus sociable, ses amis voudraient peut-être de moi. Je suis tellement timide que ça en devient gênant pour les autres. J'en suis consciente. Il faut vraiment que je fasse des efforts, que je prenne des initiatives avec ses amis. Il faut aussi que je rencontre des personnes en dehors de notre bulle.

  Je ne suis pas censée travailler demain après-midi, j'irai faire du shopping, je dois arrêter de me cacher derrière des fringues immondes. Même moi je n'aime pas mes habits, mais je déteste faire les boutiques et je ne sais pas accorder les couleurs. Je demanderai conseil à une vendeuse. Je vais me prendre en main et faire de véritables efforts.

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  En sortant de chez moi pour aller au boulot, je reçois un appel de Sam. J'hésite à répondre, mais bon, il faut crever l'abcès.

- Allô ?

- Heath... Je suis désolée... J'ai vraiment merdé. J'aurais dû te dire que je sortais avec des amis, c'est complètement con de ma part. Mais je pensais que tu ne voudrais pas venir et que tu m'aurais fait la gueule d'y aller.

- Je ne t'ai jamais reproché de voir tes amis... Je ne comprends même pas comment tu peux t'imaginer que je puisse t'en vouloir de sortir sans moi. Tu es une grande fille et moi aussi. J'aurais juste voulu que tu me préviennes. Je me suis vraiment inquiétée. Même un texto aurait suffit.

- Je sais... Je suis vraiment désolée... Tu sais quoi ? Je viens te chercher après le boulot et on ira se faire un ciné ou tout ce qui te plaira.

  Je refuse sa proposition. Il faut que j'aille faire les boutiques, et je sais que si elle vient avec moi, elle ne me sera d'aucune aide, elle s'achètera un tas de fringues dont elle n'a pas besoin, me proposera que des choses extravagantes et je repartirai sans achats. Je n'ai pas besoin de ça, il me faut des conseils professionnels.