5. Ashelia

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Assise en tailleur, j'observai le plateau face à moi, mon coude appuyé contre ma cuisse et le haut de mon corps légèrement penché en avant. Je m'interrogeai sur mon prochain mouvement, sans encore savoir lequel. Le shogi était une sorte de jeu d'échecs où il fallait prendre le roi de l'adversaire, tout en restant différent par des déplacements plus variés et complexes.

Chaque joueur jouait l'un après l'autre et pouvait soit choisir un simple déplacement ou parachuter une pièce prise à l'adversaire. Le parachutage signifiait simplement réutiliser les pièces raflées pour les utiliser contre lui. C'était cette dynamique du shogi qui expliquait l'aspect particulier des pièces ; pas de distinction par la couleur, mais par la direction vers laquelle elles pointaient. Dès lors qu'une pièce menaçait le roi, il y avait échec. Ce dernier n'était pas annoncé, hormis entre amateurs. Ainsi, si l'autre joueur ne s'apercevait de rien, on pouvait prendre son roi et gagner la partie. Et à partir du moment où aucune parade ne semblait possible, le joueur était échec et mat et perdait.

J'aimais aiguiser mon esprit avec ce jeu de plateau qui demandait une concentration extrême et une logique hors pair. Mais lorsque votre opposant réussissait à jouer tout en cancanant, ça s'avérait plus ardu que prévu. D'où ma préférence se portant vers Rasler plutôt que Lothar qui paraissait d'une humeur badine aujourd'hui, pour mon plus grand malheur. À se demander qui gérait notre territoire. Ce maudit Koning.

— Je pensais faire une fête. Rien de trop présomptueux, mais comme ça fait longtemps...

Je pinçai mes lèvres. Malgré mes efforts et son bavardage incessant, il menait la partie. Me laissant loin derrière. Lui aussi aimait fourbir ses talents de la sorte, mais il était bien meilleur que moi. Rasler demeurait un adversaire de taille pour notre Roi. Pour moi, Lothar restait mon enfer sur terre. Et ce, à bien des niveaux. Il en jouait. Avec brio, maîtrisant cette partie d'une main de fer, me pliant à son bon vouloir, nouant des fils à mes membres pour que je devienne sa marionnette. Je me laissais faire, otage de sa personne depuis mon arrivée au Fief, des siècles plus tôt, trouvant en lui une raison de vivre. D'exister. Et ce sentiment ne me quitterait jamais, marquant au fer rouge ma personne, m'enveloppant dans une loyauté qui n'avait pas de prix.

À moins que.

Sa mort ou la mienne. Autant vous dire que la première hypothèse n'arriverait pas. En tout cas, pas de mon vivant, pour le reste, eh bien il y aurait Rasler.

— Et donc je me disais que la semaine prochaine, ce serait pas mal. Je n'aime pas trop faire ça à la dernière minute, mais parfois c'est aussi le seul moyen d'éviter les indésirables.

— Tu te parles à toi-même ? Tu me déconcentres.

Ma voix claqua dans l'air, effleurant à peine Lothar qui se contenta de sourire, tout content de lui et des bêtises qu'il sortait à la minute. Il m'arrivait de m'interroger sur sa propre capacité à supporter ce qui sortait de sa bouche. Entre les murs de sa demeure, en compagnie des gens qui comptaient, Lothar se révélait être une personne totalement différente de ce qu'il montrait au reste du monde. Enfin, hormis sa propension à se faire passer pour un fêtard invétéré. Il aimait qu'on pense de lui qu'il n'était pas sérieux, qu'il n'était qu'un guignol en quelque sorte. Ce qui amusait l'Empereur et horripilait le Conseiller. Moi, je composais avec. Sachant très bien ce qui se cachait derrière cette couche de superficialité savamment travaillée.

— C'est parce que tu perds que tu es aussi ronchon ?

— C'est parce que tu parles trop, et ce, pour ne rien dire.

— Tout ce qui sort de ma bouche devrait être érigé au rang de précepte, ma petite Ashe.

— Dans tes rêves, peut-être, répliquai-je. En attendant, contente-toi de chier des paillettes en silence.

WHISPERS T2 The Whisper of my shadow [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant