5. Lothar

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Passé.

Fief du Krig Marcellus.

Le soleil brûlait mon dos et mes muscles tremblaient de fatigue. Je ne voulais rien lâcher. Je ne cèderai pas au petit sourire satisfait de l'homme qui gérait le fief où nous nous trouvions. Je m'étais fait la promesse de ne plus lui céder le terrain et j'allais tenir ma promesse.

La crampe dans mon dos s'étendit encore un peu tandis que mon corps tenait dans la position de la planche depuis plus de temps qu'il n'aurait dû. Tous mes muscles tremblaient, demandant grâce. Comme pour la vingtaine d'autres Barns qui se trouvaient autour de moi, dans la même position, avec la même sueur sur le dos, le front et tout le corps. Quelques grognements résonnaient, mais c'était toujours mieux que les coups de bâtons des instructeurs.

Je tentai un regard vers Ani et Warren qui tremblaient eux aussi. Mes coudes me faisaient mal et j'en avais ras le bol de faire tout ça pour la seule et bonne raison qu'un idiot avait désobéie au Krig. Le chef de cet endroit. La tête pensante de tout ce beau monde qui se trouvait autour de moi.

Mon regard glissa derrière Ani et je vis Arzhel, le corps immobile, la tête droite, le regard fixe devant lui. Il était bon cet enfoiré. Nous avions tous plus ou moins les cheveux courts. Il devait y avoir une ou deux filles dans le Fief. Le Krig n'aimait pas le sexe féminin pour un sou.

L'arrivée de nouveaux dans la journée titillait tout le monde et cela créait quelques tensions. Être toujours meilleurs que les autres. La représentation même du but ultime pour tous les Barns ici présents. La hiérarchie du Fief reposait sur une hiérarchie particulière qui ne cessait d'évoluer. Il fallait suivre la marche et ne jamais rien lâcher, sinon Marcellus en profitait pour vous prendre un bout de fesse.

Littéralement.

— Repos, siffla sa voix.

Plusieurs corps s'affaissèrent au sol, hormis quelques-uns qui eurent un peu plus de grâce. Je dépliai lentement mes coudes, assis sur mes fesses, le souffle court. Arzhel, Ani et Warren frottaient leurs bras comme pour diminuer les crampes. Ça faisait du bien les cinq premières minutes, mais personnellement, quand on reprenait l'effort les crampes devenaient bien plus fortes.

— Ne croyez pas que ce sera si simple que ça, gronda la voix de Marcellus tandis qu'il passait à côté de notre groupe.

Je me retins de montrer les dents.

— Chut, m'intima Ani.

Aslander Val'endyr, héritier du trône, était un très bon ami à moi. Même si une partie de son enfance s'était déroulée loin de nous, il était revenu et s'épanouissait avec nous maintenant. Comme nous devions tous être amenés à devenir des membres de sa Garde, il semblait essentiel de nouer un lien. Conscient de l'importance et du développement de notre loyauté envers lui, je faisais tout pour l'aider et le faire évoluer. Il avait un peu de retard parce qu'il n'avait pas été élevé comme nous, mais rien qu'il ne saurait rattraper en temps et en heure.

— Je vais lui décrocher la...

Arzhel se racla la gorge, mais déjà la paume de la main de Marcellus claqua l'arrière de ma tête. Je serrai les dents et ne bougeai pas quand il se pencha contre mon oreille.

— Cesse de parler, Naburia, ou je te pends tête en bas à la palette.

Je grimaçai ne souhaitant pas trop finir à l'envers sur la palette. Un instrument de torture construit des mains du grand chef pour nous faire souffrir un peu plus. Comme si sa seule existence ne nous suffisait pas pour regretter d'être arrivés ici.

Quand Marcellus décréta que nous en avions enfin terminé, nous étions tous à bout de force. La plupart se dispersèrent et bientôt, il ne resta qu'Arzhel, Warren, Ani et moi. Nous formions un petit cercle, partageant une gourde pour récupérer un peu de force et un peu d'eau dans notre corps.

— Tu crois qu'il va enfin comprendre le fond du problème ? s'enquit Arzhel.

Il possédait un visage fin, pas forcément un super passé pour les quelques années qu'il portait sur ses épaules et des cheveux courts qui seraient sûrement bien plus beaux longs. Il ne parlait pas beaucoup de l'homme qui l'avait amené ici ni de son passé. Nous n'avions pas forcément besoin de savoir plus, mais ça m'intéressait de comprendre d'où les hommes, qui seraient bientôt aux côtés d'un Empereur, venaient.

Je m'étirai et jetai un coup d'œil à l'autre petit groupe qui ressemblait vaguement au nôtre. Il y avait Arkan dedans, et d'autres. Certains que je connaissais plus que d'autres. Arkan venait d'une famille qui travaillait à la Garde. Garde que mon père menait depuis très longtemps.

— Le fond du problème c'est qu'il n'a aucun cœur, marmonna Warren avec un accent prononcé.

Il ne parlait pas encore tout à fait l'anglais. Ce qui était normal à ce stade. Il venait des îles lointaines. Notre peuple l'appelait ainsi en tout cas.

Arzhel fit la moue et haussa ses épaules. Parfois, un homme passait pour le voir et lui parler. Avec Ani, nous ne savions toujours pas qui il était. Peut être quelqu'un d'important et qui ne voulait pas être reconnu.

— On bouge, grognai-je.

Plus tard dans la même journée, nous fûmes réunis pour accueillir les quelques nouveaux qui voulaient s'aventurer jusqu'ici. Cinq jeunes qui allaient bientôt connaître la douleur de vivre dans le Fief du Krig Marcellus. L'un des plus violents, des plus sadiques et des plus talentueux de l'Australie comme on la connaissait.

Je déglutis et observai les cinq nouvelles têtes.

Les cinq nouveaux condamnés comme on aimait les appeler.

Mon regard se posa immédiatement sur la seule fille du groupe. Rare. Voilà à quoi correspondait l'existence d'une femme ici, dans un Fief.

Dans mon dos, je sentis le souffle de Rasler. Lui et moi étions parfois en compétition, parfois ensemble. On gérait les crises de l'autre. C'était le premier avec qui j'avais lié ici, au Fief. Ensuite, l'enchaînement donnait : Arzhel, Warren et Ani. Les deux derniers étant arrivés en même temps.

— C'est la fille du Général Kairos, me souffla Rasler.

Je me figeai et posai de nouveau mon regard sur la seule fille présente dans le groupe. Mon lycan s'agita en moi, observant sa proie.

La dernière n'ayant pas tenu deux jours, cette fille n'allait pas durer une semaine ici. Je croisai mes bras sur mon torse et son regard vibrant croisa le mien.

De nouveau, mon lycan poussa sur ma conscience, me forçant à regarder cette fille sous un autre angle. Un angle bien plus intéressant que son sexe et la possibilité qu'elle ne soit pas efficace en tant que Barn. Son corps fin et son regard revêche cachaient essentiellement une lycan puissante et qui semblait tout à fait à même de nous en coller une à la minute où on ouvrirait notre bouche. Je la sentais jusque dans mes os maintenant qu'elle me regardait avec une grande attention.

— Les chefs de file sont priés de montrer aux nouveaux arrivants leurs quartiers, ordonna un des instructeurs.

Je m'avançai, étant l'un d'eux. La fille fut dans mon groupe avec un autre gars. Je les embarquai avec moi et me dirigeai vers notre dortoir, qui ressemblait à une grosse grange où plusieurs endroits pour dormir s'enchaînaient pour nous offrir à chacun un semblant d'espace personnel. Ce qui ne se reflétait pas dans la réalité. Surtout pas quand une fille se retrouvait au milieu d'un groupe de gars.

— Vos couchettes, dis-je en pointant les deux tas de pailles sur des planches de bois.

Parfois, je préférai l'herbe dehors que cette vieille planche, mais nous n'avions pas besoin de plus de confort à l'heure actuelle.

— Vos noms ? marmonna Arzhel assis sur le bord de sa propre couchette à quelques mètres de là.

— Lawson, répondit le garçon.

Il semblait un peu plus jeune que nous, mais déjà bien musclé.

— Ashelia, ajouta la seconde.

Ashelia.

Tout le monde serait au courant de son rang en tant que fille de Général, alors il semblait évident qu'elle allait devoir répondre à certaines attentes.

Et il y allait en avoir. 

WHISPERS T2 The Whisper of my shadow [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant