8. Ashelia

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Je tournai le robinet d'eau et m'éloignai pour balancer mes fringues dans le panier. Selkie passait très souvent dans notre sous-sol et adorait trouver de quoi s'occuper. Je me glissai dans la cabine et positionnai mon visage sous le jet, contente d'être de retour après ces longues semaines. Mes quelques kilos en moins se voyaient ; mes côtes pointaient sous mon épiderme et je sentais une faiblesse toute particulière grignoter le peu d'énergie qu'il me restait. Les aléas qui allaient avec une chasse intense, bien qu'agaçante à ce stade. Cinq mois dans le vent. Ça ne me plaisait pas. Parce que dans ces mouvements sans queue ni tête, demeurait une logique que je ne comprenais pas encore. Les États ignorés ne signifiaient rien à ce stade, néanmoins, je ne devais pas y voir une moindre importance. Que les Terras passent de territoire en territoire témoignait déjà d'un problème non négligeable. Un souci à gérer. Mais avant tout, il fallait que je me repose. Lorsque je partais en traque, je ne dormais que d'un œil. Littéralement. Avec ma lycan, on s'échangeait la place aussi souvent que possible et mine de rien, ça puisait dans nos énergies respectives et ça nous vidait de nos forces. Voilà pourquoi la peau sur les os, voilà pourquoi ce tremblement vorace.

Je réussis à me laver les cheveux, mais je dus m'asseoir dans le bac pour ça, vraiment trop épuisée. Il y avait des missions plus épuisantes que d'autres. Surtout lorsque vous passiez des semaines dans le désert. Je détestais cet endroit désertique. Ça me rappelait le Fief. Ça me rappelait Marcellus. Et les poteaux. Surtout les poteaux. Enchainés, les bras trop tendus, le corps sous une tension permanente.

Crève ou crève.

Le souvenir fit courir un frisson le long de mon épiderme et je ramenai mes jambes contre moi, l'eau trop chaude, presque brûlante.

Hors de l'ombre de Lothar, je me perdais bien souvent. Je ne pouvais vivre longtemps loin de lui. Une évidence.

Une épée de Damoclès.

Alors je rentrais toujours. Que je rampe, que je cours ou que je nage, tout me ramenait ici. Je tendis le bras pour couper l'eau et restai sans bouger un sacré bout de temps. Je cartographiai chaque déplacement de Terras dans mon esprit. Je revoyais les paysages, les horizons lointains.

Je redessinai un itinéraire. Des allers et retours.

Que pouvaient-ils bien chercher avant un tel acharnement ? Certains d'entre eux étaient morts. Dans les deux groupes. Un Godi me l'avait soufflé. Avant mon retour. Mon front contre mes bras enroulés autour de mes genoux, je pensais à toute vitesse.

Cinq mois.

Les mouvements des Terras étalés aux yeux de tous. Mais les Godar cherchaient eux aussi de leur côté.

Cartaphilus.

Un lien ? Entre les Terras et le Juif errant ?

Je réussis à me relever et attrapai une serviette dans laquelle je m'enroulai. Les cheveux dégoulinants, je me trainai jusqu'à mon lit et m'y écroulai.

Le sommeil m'attrapa au vol et je sombrai dans une obscurité sans son, sans odeur, bercée par le murmure de mon Roi.

Une chambre. Des voilages emportés par le vent. Une femme allongée sur un lit, fiévreuse.

Reine. Reine.

À sa cheville, un fin bracelet d'argent. Magnifique.

La pièce sentait la maladie. Pas encore la mort. Mais pas loin.

Le bracelet semblait éclairer toute la chambre.

L'ombre s'avança, sans un bruit. Du coin de l'œil, elle perçut son reflet dans un immense miroir. Et je me vis.

WHISPERS T2 The Whisper of my shadow [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant