13. Ashelia

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Passé,

Deity.


La couronne reposait sur le trône. Laissée là dans un moment d'abandon. Dans le Deity, un silence opaque s'était installé. Insidieux. Mauvais.

Alors qu'à l'extérieur des murs de pierre, le peuple pleurait. Des milliers de bougies perçaient la nuit depuis l'annonce.

L'impératrice venait de s'éteindre. La belle Kyrianna Val'endyr, à jamais partie, dans un ultime souffle, dans un dernier soupir.

La plus belle de toutes les lycans. Un jour, on l'oublierait. Et son seul souvenir serait contenu dans des peintures, dans des portraits.

Repose en paix, lycan. Que ta mort soit le début d'une nouvelle vie.

Depuis mon perchoir, je n'arrivais pas à quitter ce symbole des yeux. Aran ne sortirait pas de cette chambre avant un moment. Quand bien même le corps de son Impératrice finirait par pourrir. Lui tenait-il la main ? Embrassait-il son front en ce moment même ?

Je frémis.

Tout était trop calme.

Comme avant une tempête. La paix qui précédait la guerre. Parce que tout le monde savait. Tout le monde savait qu'avec le trépas de l'Impératrice, Aran sombrerait dans les affres d'une folie qui porterait le doux nom de sa défunte épouse.

Une ombre dans l'immense salle. La Princesse. Suivi par Evy.

Evy la lycan sans humaine. Evy, celle qui tuait les prétendants de la Princesse. Un coup de croc bien placé, pas de preuve. Rien. Et on passait au suivant.

Nokomis s'arrêta devant le trône et regarda la couronne elle aussi. Pas de peine en elle. Kyrianna n'était pas sa mère. Au sein du Deity, peu le savait, mais suffisamment pour que moi, je le sache.

La bâtarde de l'Empereur.

À moitié sœur d'Aslander. Mais Princesse quand même.

Seeker et non lycan.

Yeux violets. Pas de poils.

Je ne sentis pas Lothar. Jugeai bon de laisser la Princesse toute seule. Je me glissai en dehors de la pièce et remontai un couloir.

Bien des années étaient passées depuis le départ d'Aslander. Des décennies. Parfois, Aran oubliait. Les premiers signes d'une folie dévastatrice. Et tous, nous détournions les yeux. Hormis ceux qui lui murmuraient leur poison. Kairos en tête, loin devant tout le monde.

Le jour succéda à la nuit. Et ce, durant des jours. Personne ne vit Aran. Le silence, encore. Tous, nous attendions. Et dans tout le pays, on honorait la mémoire de l'Impératrice, son fils lui-même qui ne pouvait venir pour voir une dernière fois sa mère en sa demeure.

Savait-il seulement ?

Qui aurait pu lui dire, si loin de sa patrie ?

Arzhel ? Lothar ?

Personne. L'héritier ne devait pas encore rentrer.

Je perçus l'odeur de Marcellus. Je le vis ensuite. D'abord avec Evy. Une caresse derrière une oreille. Et puis une fois que le corps de Kyrianna fut enlevé de ses appartements, il retrouva Aran.

J'arrivais à me faufiler partout. J'arrivais à faire oublier ma présence.

Alors je pouvais écouter. Et tout entendre. Pour mon Roi.

L'ignorance tuait.

La connaissance sauvait. Presque tout le temps.

— Elle est morte.

Il le répétait. Une odeur putride régnait. Partout. Elle imprégnait tout.

— À quoi servent-elles si elles n'ont pas pu la sauver ?

Earhjas.

— Sakari m'a trahi.

— Elle nous a tous trahis, gronda Marcellus.

Sakari. Celle qui s'occupait de l'Impératrice. Jusqu'à maintenant.

— Elle est... morte.

La voix de l'Empereur se brisa.

Quelque chose se brisa. Et puis encore, encore, encore.

— JE LES TUERAI TOUTES MOI-MÊME ! hurla l'Empereur. Ma Kyria... Ma Kyria...

Des sanglots. Des cris.

Un souverain brisé.

Un souverain déchu ?

— Tu es Empereur, Aran, dit Marcellus. Utilise ma main. Ne salis pas la tienne.

Le lendemain, les flammes montèrent haut dans le ciel et elles mangèrent la dépouille de l'Impératrice. Aran ne se montra pas. Seule la Princesse se tint là, bien droite.

Aslander partit, Aran sombrant, elle restait la seule à se tenir devant le peuple. Avec fierté. Avec amour et dévotion. Evy à ses pieds. Toujours. Rivqa à leurs côtés.

Sakari aussi se montra.

Lothar, à mes côtés, fut le premier à voir Marcellus. Arzhel, plus loin, regarda l'avancée du Krig.

Et là, sans un mot, sans un bruit, hormis celui d'un cœur arraché à un corps, Marcellus mit un terme à la vie de la grande Sakari, Earhja parmi les Earhja.

Rivqa ne hurla pas. Tamsyn, si. Ainsi que les autres.

Je levai la tête. Aran souriait.

Un sourire de fou.

Un sourire d'Empereur qui sombrait.

— Fais attention, c'est dangereux.

Ras n'était pas confiant. Il écoutait, il se cachait. Il cherchait. Un climat de peur régnait dans le Deity. Sakari n'avait pas brûlé. Les charognards dévoraient encore sa dépouille.

Chaque jour qui passait, la folie montait.

Je quittais Rasler et me dirigeai vers la salle du trône. Aran s'y trouvait, sa couronne dans une main. Il hurlait.

Des inepties.

Sa femme morte. Son fils mort. Personne ne comprenait.

Marcellus passait trop de temps en dehors du Fief. Il rôdait. Et parfois, la Prima des Seekers s'invitait. Je la voyais, j'entendais ses chuchotis sans en comprendre un seul.

Un matin, le cadavre de Sakari disparut. Et la fureur d'Aran fut sans limites. Il tabassa à mort des soldats. Des lycans à son service depuis des siècles. Et on jeta leurs dépouilles sans aucune considération.

Lothar me demandait de cesser mes allées et venues. Il ne quittait pas la Princesse.

La nuit, il appelait Aslander dans ses cauchemars. Mais l'héritier ne lui répondait pas.

Toutes les tuer. Toutes les tuer. Toutes les tuer. Toutes les tuer.

Il le répétait.

Seulement, aucun de nous n'aurait pu savoir. Personne n'aurait pu se douter de ce qui arriverait cette nuit-là.

Ainsi débuta la Grande Purge.

Et les hurlements effacèrent le silence. 

WHISPERS T2 The Whisper of my shadow [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant