Chapitre 52 - Reste

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Dès lors qu'elle eut cette vision de Kal-El et Sélène, la main de Salomé fut beaucoup plus lourde sur la bouteille. La détresse dans laquelle elle se trouvait lui donnait presque envie d'abandonner et de rentrer chez elle. Quoi qu'elle put lui dire, il ne serait jamais sûr. L'amnésie était le meilleur moyen de modeler la vérité à sa guise. La seule vision de Sélène souriant lui donnait des envies de meurtres. Encore une fois, elle se sentait impuissante, pas à la hauteur, inutile et annexe. Dès lors qu'il ne se souvenait plus d'elle, quelle place légitime avait-elle sur cette planète? Elle n'était qu'une étrangère, loin, très loin de sa patrie.

L'attitude apaisée et juvénile de Tamino lui donnait le soupçon de baume au coeur qui ne la faisait pas vriller. Il lui raconta sa vie ici, sur Oyessa, sa culture, son histoire. Son rêve d'un jour, partir explorer l'univers. La deuxième bouteille de Clio faisait peine à voir, seule une lichette du breuvage restait au fond. Autour d'eux les gens passaient, repassaient, disparaissaient. Ils vivaient. Salomé s'était arrêtée de vivre. C'est à peine si elle arrivait à respirer. Mais son nouvel ami la poussait à la parole, voyant par moments ses phases d'absence.

Kal-El et Sélène étaient partis depuis un long moment lorsque Salomé prit congé de Tamino qui avait aimablement proposé de la raccompagner jusqu'au au quartier général. Les vapeurs de l'alcool faisaient ressortir en elle les doutes qu'elle avait essayé de taire jusqu'alors. Mais le départ de Tamino la priva de sa présence réconfortante, humaine, et Salomé perdit pied. Elle se retrouva au pied de la tour, le regard vague, l'âme écoeurée. La tristesse lui rongeait l'intérieur alors qu'elle fixait le sol intensément, comme si la solution à ses problèmes allait jaillir de sous la terre. Trop. C'était trop. La souffrance qu'elle avait enduré lorsque Kal-El était mort sous ses yeux, et tous ses mois à le pleurer à essayer de faire son deuil... Elle était en train de le revivre une seconde fois, parce que l'homme qu'elle aimait ne se souvenait pas d'elle et donc, ne l'aimait pas! Qui était-elle pour subir cette situation? Ses épaules n'étaient pas assez solides, son coeur encore trop fragile. Il fallait qu'elle se rende à l'évidence: Kal-El et elle ne pourraient peut-être jamais se remettre ensemble, et il ne pourrait jamais retomber amoureux d'elle et ne jamais recouvrir la mémoire. Cette prise de conscience lui souleva le coeur. Il fallait qu'elle se protège, qu'elle érige des barricades. Si la situation perdurait, elle pourrait y laisser son état mental. En sortant de l'ascenseur, elle tangua dangereusement dans le couloir. Elle se trouva misérable, et son désarroi la rendait folle. Non, elle ne pouvait souffrir de rester là plus longtemps. Après tout, elle l'avait ramené à la raison, elle avait fait ce qu'elle avait pu. Le voir un jour de plus la regarder sans la voir, sentir son odeur, effleurer son corps sans pouvoir l'étreindre, entendre sa voix distante et cordiale... elle ne le pouvait pas. Elle venait d'atteindre sa limite.

Salomé repassa par sa chambre et ramassa ses affaires. Elle se rinça le visage avec de l'eau fraîche avant de refermer la porte. De toute façon, Luther ne la voulait pas là. Peut-être avait-il raison après tout. Peut-être que c'était mieux ainsi, qu'il ne se souvienne pas des mauvais moments. Même si cela signifiait ne pas se souvenir des bons, et par la même occasion d'elle même.

Elle déboula dans la pièce principale où Luther lisait un ouvrage, assit confortablement dans un sofa matelassé. Ils leva des yeux inquisiteurs sur elle avant de refermer le livre qu'il posa sur la table devant lui. Salomé avala péniblement sa salive pour tenter de se redonner une prestance. Sa voix se perdit quelque part au fond de sa gorge lorsque la haute silhouette de Kal-El fit irruption de la terrasse. Il l'observait, penseur.

« Je... Je », bredouilla-t-elle, la gorge sèche et la langue molle. Le sucre du vin avait envahi son palais et rendait sa bouche paresseuse.

« Eh bien, Salomé, qu'y-a-t-il? », l'interrogea Luther, les sourcils haussés.

Un avenir incertainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant