Chapitre 45- Il pleut dans mon cœur comme il pleut sur la ville

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La bise tiède du printemps faisait tanguer les roseaux sous les cerisiers. Leurs milliers de petites fleurs roses se détachaient petit à petit et s'envolaient dans le ciel, tourbillonnant pour finir par s'échouer sur la surface de l'eau ou entre les interstices des hautes herbes. Les bourgeons des arbres étaient sur le point d'éclore. Quelques-uns, les plus précoces, arboraient déjà une belle toison d'un vert éclatant. Le renouveau. La renaissance de la nature était en cours, et l'hiver froid, morose et gris semblait n'être qu'un mauvais souvenir.

Pourtant, il perdurait dans le cœur de Salomé assise sur un banc du jardin des Plantes. La fin du mois de mai avait un goût de fin du monde. De son monde. Deux mois s'étaient écoulés depuis la mort de Kal-El. La jeune femme était rentrée en France, près des siens et elle avait repris son métier de journaliste, plus motivée que jamais à dénoncer la part inhumaine et sombre de l'homme. Empreinte de ce nouveau combat lui permettant de survivre la journée, elle était devenue impitoyable. Pessimiste sur la condition humaine. Voire haineuse. Un jour après l'autre.

Sa jovialité, son goût de la vie, sa joie de vivre s'étaient envolées avec les Kryptoniens. Les premières semaines, Salomé eut l'impression de toucher le fond. Tantôt fantôme, tantôt marionnette désarticulée, elle avait erré dans les rues de Dublin jusqu'à ce qu'Artier ne la ramène dans son pays, par sécurité. Il s'était occupé de tout : de son déménagement, mais aussi de brouiller les pistes pour que jamais plus personne ne puisse l'associer aux Kryptoniens. Son équipe avait fait place nette à Onix où elle avait supprimé la moindre preuve de ce qu'il s'était passé. Disparitions et renvois avaient plut au sein du laboratoire.

Le soir où il l'installa dans cet appartement parisien du 5ème arrondissement, il resta à ses côtés quelques temps pour s'assurer qu'elle irait bien. Il s'inquiétait. Sans doute parce qu'il devait éprouver une certaine culpabilité. Peut-être à cause de son échec. Il n'avait pas réussi à le sauver. Bien sûr, il devait également s'assurer que Salomé ne fasse pas d'esclandre et qu'elle garderait le secret.

Pourtant, une sourde mélodie s'était installée dans l'esprit et le cœur de la jeune femme. Un désir souterrain de crier la vérité. De confronter les humains à leur plus noire nature. Les mettre face à leur vrai visage. Qu'ils sachent. Mais qu'ils prennent connaissance aussi de la beauté de cet être qu'ils avaient tué. Par peur de la différence. Par mégalomanie, par pur égoïsme, par folie.

Artier s'assit à côté d'elle sur le canapé, le front soucieux.

« Vous savez Salomé, les humains ne sont sûrement pas prêts ».

Le ton grave du militaire sonna étrangement dans le salon de la jeune femme, comme un aveu. Une certitude. 

« Ils ne sont pas capables de voir plus loin que leur nez, pour la plupart, malheureusement. Ils voient dans les Kryptoniens et les Oyessadiens une force qu'ils ne maîtrisent pas. La crainte de l'étranger. Comme l'a si bien dit Averroès, l'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence... voilà l'équation. »

Le regard de Salomé, rivé sur le tapis sous ses pieds, se ternit un peu plus. Artier remua sur le sofa avant de se racler la gorge.

« Personnellement je trouve que le peuple Kryptonien est tout simplement incroyable. Ce sont des êtres qui possèdent en eux une force absolument phénoménale, couplé d'une invincibilité, d'une résistance, d'une longévité sans commune mesure. La maîtrise et l'évolution de leur sens nous montrent à quel point ils sont évolués, par rapport à nous. Ce sont des surhommes. Et les hommes, face aux surhommes, n'ont qu'une envie, les ressembler, voire, les dépasser ».

Salomé ne comprenait pas le sens de ce déballement. Pourquoi lui racontait-il tout ça ? La simple évocation du peuple de Kal-El ne faisait que lui tordre les boyaux.

Un avenir incertainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant