Chapitre 47 - L'Acier

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Lorsque les moteurs se mirent à vrombir, le corps de Salomé se tendit. Une furieuse angoisse l'empêchait de prononcer le moindre mot envers Luther. Elle revenait sur Oyessa à reculons et n'était pas encore prête à affronter tout le monde. Elle était encore trop bancale. Elle boitait du coeur, de l'âme et craignait que sa carapace ne se brise à le seconde où elle se retrouverait en présence des Kryptoniens, mais surtout de son corps sans vie.

Prétextant un départ précipité à sa mère, elle avait récupéré ses affaires et s'était enfuie comme une voleuse dans la nuit. Un vague soulagement l'avait submergé en passant le seuil de la porte. A vrai dire, elle s'était sentie comme une étrangère durant son séjour, auprès de sa famille. Plusieurs fois elle avait failli tout leur raconter, mais s'était reprise à la dernière minute, sans vraiment comprendre pourquoi. Un jour, elle le ferait. Mais pour le moment, elle préférait garder ce morceau important de sa vie pour elle. Vivre chaque jour des vacances en faisant semblant, sourire faussement, se motiver tous les matins, discuter de sujets diverses et variés... Vivre normalement. Elle n'en était pas encore capable.

Les mains crispées sur son siège, prête à le trouer à l'aide de ses ongles, Salomé se rappela la première fois qu'elle était passée en vitesse lumière sans s'évanouir. c'était grâce à Kal-El. Une fine lame sembla s'insérer dans la paroi de son coeur lorsqu'elle revit ses deux yeux à la couleur de la lapis-lazuli se plonger dans les siens. C'était ce jour-là qu'elle en était tombée amoureuse. Elle l'avait trouvé si beau, si puissant. Protecteur et rassurant, comme si jamais rien ne pourrait lui arriver s'il était dans les parages. Pour elle, il était immortel.

Alors qu'ils passaient en vitesse lumière, elle sentit tous ses organes se soulever et monter jusque dans sa gorge qui se crispa de douleur. Ses yeux se fermèrent violemment et elle attendit que la sensation désagréable ne se dissipe. Ses iris vertes s'ouvrirent alors sur trois lunes familières. Pleines, rondes, laiteuses. Le chagrin lui brûla la gorge, la boule qui s'était légèrement rapetissée ces dernières semaines venait de doubler de volume. « c'est de la torture », pensa-t-elle, alors que le vaisseau descendait en direction du toit d'une des grandes tours blanches gondolées. D'immenses draps noirs avaient été suspendus aux toits environnant, cachant la clarté blanche de la capitale. Jamais auparavant, Salomé n'avait aperçu cette couleur funeste sur Oyessa.

Luther ôta son casque et fit signe à la jeune femme de le suivre. L'air si particulier d'Oyessa l'enveloppa à son tour, et une foule de sensations lui revinrent, lui coupant la respiration. Elle entendit le rire de contrebasse de kal-el lorsqu'ils avaient parlé pour la première fois à la fontaine. Elle le revit descendre sur son balcon, cette nuit où ils avaient échangé leur premier baiser. Elle sentit sa grande paume contre sa joue à elle, la caresser tendrement. Sa haute silhouette était partout où elle posait les yeux. Son odeur, dans la brise qui secouait mollement ses boucles. Son empreinte omniprésente. Elle avala péniblement sa salive, ravalant une larme.

Là, tout de suite, elle aurait voulu s'enfuir, repartir aussi rapidement qu'elle était venue. Etre loin lui permettait au moins de se créer une bulle pour douce, plus édulcorée. Mais on lui demandait d'affronter, des mois plus tard, la mort de celui qu'elle aimait. Pourquoi attendaient-ils six mois pour dire adieu aux leurs?

La grande silhouette du Kryptonien se retourna. Ses yeux la sondèrent de la même manière que quelques heures plus tôt lorsqu'il l'avait revu. Traînant derrière lui, elle accéléra le pas.

« Est-ce que ça va? », demanda-t-il la voix tendue.

« Ça va », souffla-t-elle, peu convaincante.

Ils prirent l'ascenseur et descendirent jusqu'à une sorte de salle gigantesque au toit en voûte, et au sol de grès. Ils devaient se trouver dans un des quartier général du nouveau gouvernement. Plusieurs Kryptoniens étaient assemblés dans un coin, et tous formèrent une ligne pour les accueillir. Mais Luther ne descellera pas et leur passa devant sans un mot. La jeune femme, peu habituée aux coutumes de ce peuple, se fit la réflexion qu'elle possédait encore de nombreuses lacunes en la matière, même si elle ne comprenait pas très bien ce qui était en train de se passer. Il débouchèrent dans un couloir sombre, qui, à la différence de la salle précédente, n'était pas ouvert sur l'extérieur comme la plupart des pièces de cette planète. Le pas de Luther se fit plus lourd, plus pesant.

« Où est-ce qu'on va? », demanda enfin Salomé, de plus en plus inquiète. Elle redoutait qu'il ne l'amène au chevet du corps de kal-El, parce que son petit coeur ne le supporterait pas.

L'homme ne répondit pas et continua son avancée. Puis, il s'arrêta enfin devant une porte en acier imposante de par ses finitions, comparées à ses voisines. A côté, même son corps de colosse ne paraissait pas pouvoir en venir à bout.

« Si je t'ai fait venir ici, c'est parce que j'ai besoin de toi ». Sa voix raisonna étrangement aux oreilles de Salomé.

« Qu'est-ce qu'il y a derrière cette porte, Luther ? », l'interrogea-t-elle d'une voix blanche. Non, elle n'appréciait vraiment pas la tournure des évènements.

L'homme sembla réfléchir quelques instants avant de poser une main sur la poignée.

« Je... »

« Salomé!, s'exclama une voix féminine bien trop familière. Ou bien est-ce un mirage? Cela fait si longtemps que je n'avais pas vu ta frêle silhouette dans les parages ». La grande rousse arriva à leur hauteur, le regard flamboyant.

« Sélène », déglutit Salomé en maudissant Luther de l'avoir amené dans cette position. Que faisait-elle ici?

«  Nous avons beaucoup hésité avant de te faire venir », lâcha-t-elle d'un un demi sourire. Son ton narquois ne s'était pas envolé en même temps que ses pleins pouvoirs. Perdant patience, Salomé lança un regard appuyé à Luther qui soupira.

« Il y a quoi derrière cette porte?! », s'énerva-t-elle. Ses nerfs ne tenaient plus la route, il ne fallait pas jouer avec elle.

« Tu es notre dernière chance », déclara Luther en la fixant de ses yeux noirs.
Mais de quoi parlaient-ils?

Il ouvrit la bouche, mais Sélène le coupa d'un regard sec.

« Montre-lui plutôt ».

Alors, Luther introduisit une grosse clé dans la serrure de la porte et, après l'avoir tourné deux fois, il actionna la poignée. Salomé découvrit alors l'épaisseur phénoménale de la porte. L'acier devait être aussi large que son propre corps. Le Kryptonien lui fit signe d'entrer. Une faible lumière s'était déversée de l'ouverture dans le couloir, et Salomé, intriguée, s'y avança le coeur battant. Méfiante, plus très sûre de leur intentions, elle fit un pas dans la pièce et repoussa un peu plus la porte.

Son coeur se mit à s'agiter, alors que ses yeux tentait de déceler l'ombre qui se trouvait assise dos à elle, à quelques mètres de cette pièce sans ouverture. Des traces de brûlures striaient le sol de grès à de nombreux endroits, sur les murs près d'elle, sur le plafond. Des blocs de pierres jonchaient le sol. Et cette ombre, figée, trônait au milieu de ce violent désordre destructeur. La désolation, pensa-t-elle aussitôt. C'était une scène de désolation.

Les sourcils froncés, elle s'avança parmi les grabats, mais se stoppa net. Une émotion fugace lui fit tourner la tête, et elle eut soudain très envie de pleurer. L'ombre s'était levée, déployant sa silhouette démesurée. Un éclair d'acier bleuté l'éblouit une fraction de seconde, et les battements de son coeur s'arrêtèrent. Elle ne respirait plus. Ne pensait plus. N'existait plus. Elle n'était plus rien, face à ce fantôme. Les pieds de Salomé étaient vissés au sol, tout son corps, raide, ne lui obéissait plus. Il s'était arrêté de fonctionner.

Celui qu'elle avait vu mourir sous ses yeux se mit brusquement en mouvement et se rua sur elle avant que des chaînes le stoppèrent, le ramenant brutalement au sol. Un grondement rauque éclata dans le silence assourdissant et deux billes rouges s'allumèrent soudainement, projetant des rayons incandescents sur elle. Alors qu'elles étaient sur le point de l'atteindre, Luther attrapa Salomé par le col et l'entraîna avec lui à l'extérieur de la pièce, refermant avec force la porte derrière eux qui claqua bruyamment.

Salomé se laissa glisser le long du mur frais, incapable d'émettre le moindre son et la moindre pensée construite. Elle ne sentait que son coeur qui s'était remit à palpiter vaillamment.


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